samedi 22 août 2015

TRIBUNE LIBRE : Paolo Brera

L’Ukraine en lutte contre la corruption

C'est un truisme de dire que le plus grand souci pour le gouvernement de Kiev, c'est bien évidemment la guerre civile qui règne dans l’Est du pays et qui domine le quotidien. En deuxième place, il y a la corruption. Le président Pétro Porochenko joue sa réputation sur cette issue, car en Ukraine se déroule en ce moment une campagne de grande envergure contre la corruption.


L’omniprésence de la corruption dans l’économie et la société ukrainienne frôle l’incroyable. Loudmila Milévytch, une jeune mère d’un enfant en âge scolaire a déclaré au Wall Street Journal : « Vous allez à la maternelle et c’est du fric qu’il faut payer pour la faire admettre. Encore du fric pour l’école primaire. Et du fric pour la faire soigner à l’hôpital ». Cette femme au foyer qui s'est enrôlée dans la police municipale de Kiev s'est également engagée dans une campagne visant à déraciner la corruption des policiers. Elle clame : « Plus personne ne veut plus vivre comme ça. »

Les hôpitaux sont un cauchemar, les infirmiers sont payés dix dollars US par jour sous la table. Les opérations chirurgicales sont assujetties à un tarif précis et purement privé – en clair : à chaque consultation, des centaines des dollars émigrent des poches des patients vers celles des médecins. La police ferme les yeux sur les infractions commises à condition pour les contrevenants de s'acquitter d'un bakchich en devises. Le revenu non-officiel en monnaie étrangère est souvent plus important que le traitement officiel en hryvnes.

C’est presque difficile à croire, mais le problème était moins aigu du temps de l'Union soviétique. Dans les hôpitaux, on vous soignait même si vous n’aviez pas de devises à remettre au personnel soignant. Mais quand l’État communiste autoritaire s’est écroulé, c’est le "Far West" qui a prévalu. La tentation était trop grande pour de nombreuses personnes de profiter de leur position et de la corruption régnante pour plus qu'arrondir leur fin de mois. Beaucoup se sont laissé séduire par l'argent facile.

Porochenko a recruté l’ancien Premier ministre géorgien, Mikhaïl Saakachvili, pour l'assister dans la campagne anti-corruption. Même les opposants de Saakachvili reconnaissent son succès dans l’éradication de la corruption diffuse qui sévissait en Géorgie. Aujourd’hui, Saakachvili devenu le gouverneur de la région d’Odessa, a eu l’idée d'accorder aux grands bureaucrates des primes en devises étrangères contribuant ainsi à la réduction de la corruption. La méthode a été appliquée également à deux ministères Kievins. Mikhaïl Beylin, conseiller du président Porochenko, remet des enveloppes contenant de 3 000 à 7 000 euros par mois aux chefs de départements et encore bien plus aux ministres et aux députés.

L'idée n’est pas dénuée de fondement, elle repose sur l'hypothèse que les bas salaires incitent le personnel à la corruption, et que pour la combattre, il faut avant tout mieux rémunérer les personnes. Et cela a marché – parfois. Un policier de Kiev a admis qu’il acceptait des pots-de-vin quand il recevait deux mille hryvnes par mois (80 euros), mais plus maintenant qu’il est beaucoup mieux payé ; il s’est même engagé dans la campagne anticorruption. Le ministre Avaras Abromavicius a déclaré au site Investigatif Ukraine Criminelle : « Quand un ministre touche 200 dollars par mois et ses aides les plus proches même moins que cela – alors on ne va nulle part. » Il y en a certains qui ont cependant émis des doutes sur la légalité de cette prime versée en dollars – et le fait qu’ils soient débités en secret ne fait que renforcer la tendance du système politique ukrainien à former des camarillas. Les chefs de file de l’administration publique et des entreprises d'État sont toujours choisis selon des procédés dont l’opacité avantage les gens bien introduits au grand dam des plus compétents. Porochenko a pris l’engagement solennel de faire procéder à toutes ces nominations de façon transparente et méritocratique, toujours par le biais de concours publiques. La réalité, comme le souligne Dmytro Tuzov dans l’Ukraïnska Pravda (le quotidien fondé par Héoryiy Gongadzé), ne correspond pas toujours aux engagements pris.

Prenons, par exemple, les Chemins de Fer Ukrainiens (au nom imprononçable d’Oukrzaliznytsyiya), un véritable État dans l’État dont Oleksandr Zavhorodnyiy a été nommé PDG sans avoir présenté le moindre concours. Son poste n'est que provisoire, mais cela cache l’absence de n’importe quel critère pour une désignation définitive. On a dit que le concours (transparent, comme il se doit...) sera annoncé en septembre. Annoncer, ce n’est quand même pas faire ce qu’on annonce. Aussi, Tuzov a eu beau jeu de dire qu’au vu des délais habituels en Ukraine, les chemins de fer devront attendre très longtemps pour enfin voir siégé un PDG désigné selon des règles de transparence. Or cette nomination revient entièrement de la responsabilité de Porochenko.

Il y avait cependant eu un bon départ. Le nouveau chef du Bureau Anticorruption, le jeune et dynamique ancien avocat et procureur Artem Sytnyk, dont la candidature a bien été retenue après un concours ouvert et transparent au cours duquel il a battu à plate couture son adversaire Mykola Siryiy. Mais en août, le procureur général l’a inculpé d’abus de confiance : il aurait payé le voyage de sa femme qui l'accompagnait en visite officielle à Londres, avec de l’argent publique. « Ce n’est qu’une façon de faire pression sur moi » a-t-il déclaré en démentant cette accusation. Pourtant, l’inculpation montre – au minimum – que les corrompus n’ont aucune intention de se soumettre sans bataille.



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