lundi 20 novembre 2017

« Les paradis fiscaux, c'est terminé ! »


The Queen aurait investi 11 millions d'euros aux îles Caïmans et aux Bermudes ! Comble de l'ironie, David Cameron avait placé la lutte contre l'évasion fiscale au cœur de sa présidence 2013 du G8. La City abritait alors 2 500 billions d'euros de dépôts offshore ! Quatre années plus tard, le total des avoirs détenus dans des paradis fiscaux atteindrait 7 900 billions d’euros… Are you shocked ? Il circule de par le monde des capitaux sans qu'on en sache rien ou pas grand chose. Les grandes multinationales (Nike, Apple, Facebook) et les grandes fortunes profitent de mesures d'optimisation fiscales pour placer légalement une partie de leurs avoirs dans des comptes offshore. Selon l'économiste Gabriel Zucman, l'évasion fiscale coûterait 20 billions à la France.

En 1998, la Mission d'information parlementaire déclarait : « A l'heure des réseaux informatiques d'Internet, du modem et du fax, l'argent d'origine frauduleuses peut circuler à grande vitesse d'un compte à l'autre, d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées ». En juillet 2 000, l'Organisation pour la Coopération et le Développement annonçait qu'elle prendrait des mesures utiles contre les pays qui maintiendraient le secret bancaire. En 2001, le Groupe d'Action Financière (créé lors du G7 de Londres en 1999) dressait deux listes des pays les moins coopératifs en matière de lutte contre l'argent sale. Liste noire : les Bahamas - îles Caïmans - les îles Cook - La Dominique - Israël - Liban - Liechtenstein - îles Marshall - Panama - Niue - Nauru - Philippines - Russie - St Vincent Grenadines - St Kiits et Nevis. Liste grise : Antigua Barbuda - Belize - Bermudes - Îles vierges - St Lucie - Samoa - Chypre - Gibraltar - Guernesey - île de Man - Jersey - Malte - Monaco - Île Maurice.

L'ensemble des paradis fiscaux représentait 4 000 banques offshore et deux millions de sociétés relais ou écran qui drainaient plus de 5 000 billions de dollars. L'administration fiscale française considérait comme paradis fiscaux : Andorre, Autriche, Campionne, Grèce, Irlande, le Vatican, le Luxembourg. Autres pays parfois pointés du doigt : Jordanie, Hong-Kong, Costa-Rica, Émirats, Liberia, Nouvelles-Hébrides. Si nombre de ces pays ont disparu de la liste établie par le GAFI, la situation est loin d'être apurée. Il suffit qu'une seule grande puissance financière ait un intérêt à conserver un paradis fiscal dans son giron pour se livrer elle-même à des transactions douteuses. Les exemples ne manquent pas : l'affaire des vedettes de Taïwan, la livraison d'armes à l'Iran, l'implication de la banqueroute de la Bank of credit and commerce international, etc. Les banques du koweït et d'Arabie Saoudie bénéficient d'une immunité souveraine liée aux familles elles-mêmes régnantes (cela est en passe de changer).

Si l’optimisation fiscale permet de payer le minimum d’impôts dans un pays tiers, l'origine des fonds alimentant l'évasion fiscale (illégale) est très diverse : trafics en tous genres (êtres humains, armes, produits, œuvres d'art, armes, etc.) - Racket, chantage, extorsion - Contrebande (produits à forte valeur ajoutée) - Criminalité violente (attaque à mains armées, enlèvements) - Criminalité astucieuse (escroqueries, détournement de subventions, fraude fiscale) - Pots de vin, commissions occultes - Caisse noire de partis politiques, société, États - Détournement d'embargo, de fonds à des fins personnelles, transmission d'héritage, etc. Les activités de blanchiment représentent une activité importante de l'économie. Quand un délinquant prend une licence bancaire, cela engendre des revenus pour l'État, et quand un criminel crée un réseau de sociétés de façade, il « monte » de véritables sociétés. Ces sociétés créent des emplois, paient des charges, et les États hébergeurs tirent profit de cette économie délictuelle. La notion de paradis fiscal repose sur le principe de la souveraineté nationale des États. Paradoxalement, c'est la dérégulation et une législation des grands pays qui sont à l'origine de ces paradis fiscaux. Chaque grande zone a les siens, les Caraïbes pour l'Amérique du Nord, les îles Anglo-normandes et les micros-états pour l'Europe, et le pacifique pour l'Asie. Les capitaux déposés dans le giron britannique (les Caïmans, îles anglo-normandes, Man, îles Vierges britanniques, Gibraltar, Hongkong, Irlande ou Dubaï), approvisionnent la City. En France, le régime de défiscalisation et celui des niches fiscales sont assimilables à de micro paradis fiscaux.

Certains États ne classent pas cette lutte au rang de leurs priorités nationales, la combattre reviendrait à écrouler tout un pan de l'économie du pays. La crise financière survenue à Chypre en mars 2013 a montré comment un système offshore (Les affaires ne transitant pas par le pays d'accueil, cela évite qu'un nom de fondateur ou d'administrateur n'apparaisse) peut avoir des répercussions énormes sur la stabilité d'un État. En dehors des traités bilatéraux (la France a signé près de 1000 traités de par le monde), toute enquête n'est possible qu'avec l'accord de l'État d'accueil, et plusieurs pays estiment qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables des systèmes fiscaux en vigueur dans d'autres pays, toute demande d'enquête se heurte à une fin de non recevoir ou à un manque d'alacrité certain. D'autre part, l'entraide judiciaire entre certains pays reste très encadrée. Il faut, et ce même en matière de terrorisme, que le montage financier vise une escroquerie en matière fiscale. La coopération recèle parfois des chausses trappes. À propos du secret-défense invoqué dans l'affaire Elf, les juges Français ont demandé à leurs homologues suisses au titre d'une convention du 22 mars 1972 signée entre la « Sécurité militaire » et la section du maintien du secret auprès de l'état-major helvétique, fixant une équivalence des niveaux de protection entre les deux pays, la communication des documents en leur possession. En effet, cette équivalence ne concerne que les échanges d'informations entre les deux armées et ne saurait s'appliquer à un contrat commercial...

Une première idée qui vient à l'esprit pour lutter contre l'argent « sale », la mise en place d'un système financier reposant sur des chambres de compensation qui permettraient de suivre les flux financiers, mais la mesure resterait insuffisante. Chacun sait que les financiers sont toujours à l'affût de capitaux, aubaine que les criminels de tout acabit s'empressent d'en profiter. Il ne faut donc pas s'étonner de retrouver sur les marchés spéculatifs (le Monep pour ne pas le citer), une importante partie de ces sommes, marché sur lequel l'argent va perdre ses origines douteuses et réapparaître au grand jour légalement.

Un système beaucoup plus ancien peut aussi être utilisé pour effectuer des transferts de fonds anonymes, la « Hawala ». Cette pratique basée sur la confiance remonte aux empereurs de la Chine ancienne afin d'éviter aux commerçants empruntant la route de la soie d'être " dépouillés " de leur argent. Une personne dépose une certaine somme chez un agent de change qui lui remet un reçu numéroté anonyme (une lettre suivie de quatre chiffres pour les sommes inférieures à 500 $), et un mot de passe. Il suffit ensuite à l'agent de change d'avertir son correspondant par e-mail ou par fax pour qu'un tiers puisse se présenter et retirer les fonds, soit en présentant le reçu numéroté, soit en révélant le mot de passe. La transaction effectuée est aussitôt effacée. Bien que cette pratique soit illégale dans nombre de pays, elle n'en constitue pas moins tout un pan de leur économie. Au Pakistan, on estime à plusieurs milliards de dollars le volume de ces transactions qui sont « noyées » avec celles des travailleurs indiens, pakistanais, philippins et du sud-est asiatique émigrés.

Quel que soit le type d'activité, légale ou illégale, dès qu'elle atteint une certaine ampleur, on a recours à un ensemble de sociétés légales qui permettent de dissimuler les revenus d'activités, d'en disposer légalement après blanchiment. Dans une chaîne délinquante, seules les personnes à la base de l'activité illicite doivent blanchir les capitaux, les intermédiaires n'ont pas ce souci. Leur activité économique et de façade étant tout ce qu'il y a de plus légale, ils perçoivent leurs honoraires qui constituent leur chiffre d'affaires. Pour dissimuler les transferts de capitaux, on crée de véritables sociétés qui serviront de paravent à travers un montage complexe de sociétés relais. Ce qui intéresse ces sociétés de papier, ce sont les registres de commerce, le papier à en-tête, les comptes bancaires, et les possibilités offertes pour les transferts de capitaux. Il devient possible de commercer en établissant de fausses factures, en surestimant ou sous-estimant les montants de celles-ci pour que la différence ou le bénéfice réalisé sur la TVA puisse être déposé au passage sur un compte secret. Cela est encore rendu plus facile par les zones franches exemptes de contrôles douaniers et fiscaux, qui permettent la re-facturation à l'exportation. Les zones franches de certaines banlieues Françaises sont de mini paradis fiscaux que les gangs locaux peuvent mettre à profit pour bénéficier d'exonérations fiscales et sociales en provenance d'argent sale. Il s'agit parfois simplement d'un jeu d'écritures, puisqu'il n'y a aucune marchandise en circulation.

Une technique resplendissante de simplicité, le faux procès. La somme à blanchir est déposée sur un compte dans une banque offshore en attendant de servir de règlement à un procès monté de toute pièce. La société qui veut rapatrier les fonds intente un procès à la société détenant les capitaux, bien souvent, un arrangement à l'amiable est négocié entre les avocats et la justice. La société perdant son procès verse ensuite les sommes convenues à l'autre partie. La société qui aura gagné le procès n'aura même pas à payer d'impôts sur les sociétés. Le bénéfice est donc supérieur à ce qu'il serait avec des fonds sur lesquels il aurait fallu s'acquitter des impôts sur les sociétés ! On peut tout aussi bien avoir recours à des sociétés offshore situées dans un paradis fiscal. La réglementation permet l'implantation de banques, compagnies d'assurances, sociétés relais ou écran, l'ouverture de compte à chiffre anonyme. Les sociétés panaméennes ont été fréquemment utilisées en Suisse en raison de la possibilité à pouvoir utiliser les deux sigles SA ou AG. Pour semer ensuite la confusion, il suffit que la société mentionne une ville et de supprimer la mention du siège à Panama ! Pendant longtemps, il fut possible de créer rapidement et par Internet, une société pour quelques milliers de dollars ! (forfait pour les impôts et 600 dollars de frais de gestion).

Cette guerre occulte sur les places financières a aussi des morts. Le 15 mai 2001, l'administrateur d'une société suisse décédait dans l'explosion de son véhicule. Les policiers avaient dû protéger l'« homme qui valait 7 milliards », un informaticien monégasque employé par HSBC à Genève qui avait dérobé les données clients couvrant 2006-2007, et d'offrir ses services pour décrypter le « shadow banking » (marché financier parallèle) qui « transforme la planète en casino et facilite le blanchiment d'argent sale ».

Pour Pascal Saint-Amans : « La solution est politique : concrètement, comment convaincre par exemple les Irlandais d'accepter une "frontière fiscale" avec les îles Caïmans ?  Que leur proposer pour qu'ils cessent d'être un cheval de Troie des paradis fiscaux ? (...) Il faudrait qu'Emmanuel Macron et Angela Merkel se mettent d'accord pour nettoyer le truc. Qu'ils mettent les vraies questions sur la table, qu'ils disent aux Néerlandais, aux Irlandais, aux Luxembourgeois que la situation n'est plus tenable, et que si rien ne change, il faut s'attendre à d'autres Brexit. »


mercredi 1 novembre 2017

La psychologie de l'aveu & l'erreur judiciaire

Le 17 mai 1983, le corps de madame Seban est découvert dans la penderie à son domicile de Caderousse (Vaucluse). Elle a été tuée par un projectile 22LR tiré avec la carabine appartenant à son mari. Les soupçons se portent rapidement sur Philippe Gantois, légionnaire au 1° Régiment de cavalerie d'Orange. Son frère et sa belle-sœur signent le PV dans lequel y est écrit que Philippe leur a confié être l'auteur du crime. Le 6 mars 1985, le frère et la belle-sœur reviennent sur leur déposition, ils affirment devant le tribunal que les gendarmes les ont menacés de les incarcérer et de placer leur enfant à la DDASS ! Gantois revient lui aussi sur ses aveux, d'expliquer que les gendarmes l'ont frappé et menacé de le torturer à l'électricité avant de le jeter dans le Rhône ! Le jury condamne cependant Gantois à 15 années d'emprisonnement ! La Cour de Cassation ayant annulé le jugement, un nouveau procès eut lieu les 20 et 21 juin 1986 devant la Cour d'assises de l'Isère. Les défenseurs de Gantois firent le procès des investigations conduites par la gendarmerie et parvinrent à faire reconnaitre l'innocence de leur client.

Cette affaire sera à l'origine de la réforme judiciaire permettant aux condamnés d'interjeter appel devant une Cour d'assises. En se fourvoyant et en accusant à tort un innocent, la justice n'a plus à rechercher le véritable coupable. « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que condamner un innocent » (Voltaire). Les droits de l'individu sont souvent bafoués lors d’un interrogatoire et les conditions de son déroulement ébranlent la personnalité et les capacités de n'importe quel citoyen. Le moindre signe de faiblesse sera exploité pour le manipuler et prendre l'ascendant sur son esprit.

Le policier doit faire parler la personne afin d'obtenir d'elle des informations qu'elle a peut être l'intention ou intérêt à taire. L'interrogateur est un acteur qui écrit ses propres dialogues et joue différents rôles, il peut se transformer en « père », en juge, en « grand-frère », etc. L'interrogateur doit motiver la personne interrogée afin d'en obtenir la coopération la plus complète possible. L'interrogateur commence par se situer socialement à l'autre, cela se fait généralement par le rapprochement de points communs qui ne servent qu'à briser la glace et à faciliter la prise des repères sociaux. La collaboration pleine et entière de la personne auditionnée n'est jamais acquise totalement ni définitivement. Des réticences, voire une résistance nouvelle peut apparaître surtout s'il s'agit de questions embarrassantes appartenant au domaine de sa vie privée. La collaboration peut être partielle, sélective, déniée et remise en cause devant le juge d'instruction ou le tribunal.

L'état émotif peut parasiter l'interrogatoire, l'interrogé formule des réponses évasives, fait montre d'une difficulté à fixer son attention, ne parle que pour son propre compte, ou bien est incapable de répondre : étranger, muet, ou muré dans le silence. Le mutisme peut être absolu, partiel, continu ou intermittent, volontaire ou involontaire. L'intelligence a un effet sur les capacités de jugement, le raisonnement, l'attention, et une répercussion sur la capacité d'imagination, imagination qui peut être diminuée, accrue, pervertie (erreur, délire). Le langage est généralement associé à l'intelligence, l'interrogateur peut y déceler des éléments significatifs de la personnalité (prétention, timidité, etc.). En ce qui concerne la modification de la voix au cours de l'interrogatoire, cela peut traduire le trouble, le doute, la crainte ou trahir l'histrionisme.

Le choc de l'arrestation peut suffire chez certains à déclencher une bouffée délirante ou un état maniaque : mégalomanie, humilité, indignité, auto-accusation, persécution, jusqu'alors passé inaperçu. Une personne souffrant de confusion mentale éprouve l'incertitude et présente une désorientation dans le temps et l'espace, ses réponses peuvent être : vagues, embrouillées, incohérentes, et elle éprouve la plus grande difficulté à fixer son attention. La logorrhée peut venir contaminer l'inter-relation et l'interrogé confondre les périodes, les faits, les lieux. Un étude de Binet a établi que les erreurs dans un interrogatoire peuvent osciller entre 26 et 60 % !

La mémoire d'un individu peut être exagérée, diminuée, être plus ou moins sélective pour n'atteindre que certaines parties du vécu, pervertie (jamais vu, déjà vu, déplacement dans le temps, lieux), abolie (amnésie globale ou lacunaire pouvant favoriser une affabulation ou suggestibilité). L'impossibilité à se souvenir d'un acte, de la chronologie de son exécution est souvent le signe d'obtusion, d'obnubilation, ou d'une amnésie de fixation, sans oublier les dysfonctionnements ou infirmités, le sourd ne peut parler de ce qu'il a entendu, ni l'aveugle de ce qu'il a vu.

Les interrogateurs vont tenter de susciter chez l'individu le désir de parler, de s'expliquer, de se justifier. Tout enquêteur sait que la première chose à faire pour inciter une personne à parler est d'entraîner chez elle un état de dissonance cognitive en l'obligeant à soutenir, en même temps deux idées ou deux opinions inconciliables, comme l'honnêteté et la déshonnêteté, le bien et le mal, etc., (études de Festonner et Carlsmith). La situation étant désagréable, l'individu cherche à faire disparaître la tension par tous les moyens à sa disposition, et cela lui sera d'autant plus facile que l'interrogateur va lui proposer des circonstances minorantes : « parlez, le juge en tiendra compte, à votre place j'aurais agi de même », etc., et la tension du moment venir s'opposer à tout auto-contrôle

L'interrogatoire est une situation limite dans laquelle l'interrogateur est à l'origine chez l'interrogé de mécanismes de défense plus ou moins bien adaptés à la situation. L'enquêteur qui empêche un citoyen de quitter le commissariat, d'aller aux W-C, de fumer, de se reposer, etc., contribue à l'apparition d'un stress actif externe, tandis que la tension psychique entre les besoins contradictoires (la gêne à mentir par exemple) peut être à l'origine d'un stress interne.

L'attitude psychologique de l'un ou l'autre des protagonistes peut transformer la situation, et l'interrogé de traduire :
  • une attitude hostile empreinte de colère dirigée vers autrui ;
  • se culpabiliser et retourner l'agressivité vers lui ;
  • une réaction d'embarras en cherchant à concilier les différents points de vue en cause.
La réaction de l'individu peut se modifier au cours de l'interrogatoire. L'individu peut commencer par se culpabiliser, puis agacé par la situation, son agressivité apparaître et entraîner une réaction hostile. L'inverse est tout aussi possible. D'autre part, un individu peu combatif, naïf, immature pourra ne pas prendre parfaitement conscience de ce qu'il risque et se « déboutonner ».

Voici la sainte trinité de nombre d'interrogateurs pour déstabiliser l'interrogé : la culpabilité qui va entraîner une mauvaise conscience - la faute qui est susceptible d'entraîner la honte - la crainte ou la peur. Rappelons que la culpabilité naît du non respect d'une loi, tandis que la honte serait plutôt une entorse à la loi morale capable entraîner à son tour une douleur morale. Il est possible d'avoir honte sans pour cela éprouver la moindre culpabilité. Les raisons pour entraîner la honte chez l'interrogé ne manquent pas : utilisation de certains comportements connus de sa vie privée, l'obliger à laisser la porte des toilettes ouverte et placer un garde pour le surveiller, utiliser une infirmité, un complexe, faire rejaillir sur lui la honte d'une famille, lui faire éprouver la honte d'avoir honte. L'individu peut aussi se sentir honteux de s'être laissé piégé ou d'avoir peur. La honte est une arme redoutable, puisqu'il est possible d'entraîner chez une personne un sentiment de honte alors qu'elle pensait faire le bien.

« La situation n'a de réalité que par la représentation que l'on s'en fait et de la propre estime que l'on a de soi. » Pour éprouver de la culpabilité, point n'est besoin que l'interrogé ait transgressé les lois, il suffit qu'il est transgressé un interdit, ne fusse que culturel. La culpabilité naît d'un conflit entre le Moi et le Sur moi. L'individu peut aussi ressentir cette culpabilité d'avoir peur comme une faiblesse et ne pas tarder à avoir honte de se sentir coupable. On notera que l'appartenance éthique a une répercussion sur le ressenti de la honte ou de la culpabilité. Les civilisations africaine et asiatique seraient plus sujettes à la honte, et la civilisation occidentale à la culpabilité.

Les policiers sont susceptibles d'employer plusieurs techniques, en voici quelques-unes :
Le Choc psychologique : la personne arrêtée qui est sous l'emprise d'un choc émotionnel est interrogée immédiatement.
La Perte de dignité : le fait que le suspect se voit privé de ses lacets, ait été dépossédé de sa cravate, sa ceinture, ses lunettes, et soit passé à la fouille, voilà déjà de quoi le diminuer psychologiquement et lui faire comprendre qu'il ne tient qu'à lui que cette situation ridicule ne cesse.
Le Feu rapide : l'interrogateur pose des questions les unes derrière les autres sans attendre les réponses du suspect pour le déstabiliser et à le frustrer de la parole coupée. l'interrogé va être sur la défensive et finir par se contredire.
La Provocation : technique blâmable qui vise à provoquer le suspect pour qu'il commette une faute (coup et blessure, rébellion, bris de matériel), faute qui deviendra un atout policier.
Les Remords : reposent sur le sentiment de culpabilité d'avoir fait quelque chose de mal chez les personnes socialisées ou religieuses. « Comment pourrez-vous vivre avec un tel pêché sur la conscience ? » Inutile de dire que cette approche ne fonctionne pas avec des psychopathes ni avec des individus ayant des valeurs diamétralement opposées.
Prouvez votre innocence ! : On dit à l'individu qu'on ne le croit pas et qu'il lui revient de livrer des détails prouvant ce qu'il avance.
Promesse mensongère : approche blâmable, un fonctionnaire de police ne dispose d'aucun moyen pour tenir certains engagements. L'affaire sera instruite par le juge d'instruction et ensuite débattue contradictoirement devant le tribunal. En aucun cas les magistrats se sentent engagés par les promesses des policiers.
La fatigue : le suspect est appelé au milieu de la nuit pour être interrogé quelques minutes avant d'être renvoyé en cellule, pour de nouveau être rappelé quelques instants plus tard, ou lui fait tenir une position fatigante.
Audition à décharge : l'enquêteur dit que son audition est à décharge ou qu'il ne lui appartient pas de juger. Il tente de réunir les éléments en faveur de l'interrogé et semble disposé à atténuer la responsabilité.
La Crainte des retombées : elle s'appuie sur la « publicité » que l'acte va déclencher sur l'interrogé, ses proches, ses affaires, et qu'il est préférable de parvenir à une solution.
La Dramatisation : l'interrogateur tient un discours paternaliste : « Si vous êtes vraiment coupable, vous allez avoir besoin d'un bon avocat, et pas n'importe lequel. Il faudra prendre le meilleur qui soit pour avoir une petite chance de ne pas en prendre pour le maximum. Si vous êtes innocent, cela va vous conduire à jeter l'argent par les fenêtres, et le juge pensera peut être que pour prendre un bon avocat, c'est que vous êtes impliqué lourdement, et renoncer à un ténor, c'est aussi la certitude d'en prendre pour le maximum. Il ne tient qu'à vous de minimiser votre participation, c'est de me raconter l'histoire ».
A la limite des conventions humanitaires : sous alimentation, retarder les besoins naturels, de soins, privation de sommeil, privation de tous ses vêtements, l'isolement, le respect d'un règlement mesquin dont la moindre omission entraîne des sanctions, des brimades, voire des sévices.

Certaines de ces pratiques peuvent conduire la personne interrogée à l'auto-mutilation ou au suicide. Parmi les individus les plus à risque : l'intoxiqué, le drogué, le mélancolique, l'halluciné, le mystique, l'épileptique, le déséquilibré. Des signes précurseurs peuvent exister : refus d'alimentation, mutilation, avilissement, prosternement, phrase en suspens. Le calme apparent de l'individu peut être le signe d'une décision déjà prise. Un seul moment d'inattention suffit pour le passage à l'acte.

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