samedi 2 décembre 2017

Les dauphins, auxiliaires des flottes américaine et russe


Après la chute de l'Union soviétique et le partage de la Flotte de la mer Noire entre Moscou et Kiev, l'unité militaire des mammifères marins passa sous le contrôle de l'Ukraine qui l'affecta à la delphinothérapie destinée aux enfants atteints de troubles psychiques, puis de la réaffecter en 2012 à un programme militaire. Le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie intervenu le 18 mars 2014 inversa la « donne ». La Russie récupérait les dauphins militaires et l'infrastructure de l'océanarium d'État de Sébastopol. Un mois plus tard, l'US Navy déployait vingt dauphins et dix d'éléphants de mer acheminés par avion spécial pour participer à des manœuvres de l'OTAN en mer Noire. Leur mission ? tester un système de contre-mesures destiné à tromper les sonars adverses.

C'est la Suède qui eut l’idée, en 1942, d’utiliser des animaux marins pour couler les U-booten allemands. Des phoques porteurs d'une charge magnétique sous-marine devaient venir se placer sous les coques des sous-marins, la charge d'exploser en présence de la coque métallique. Les recherches tombèrent dans l'oubli avant d'être reprises par The Naval Undersea Research Development Center Point Mugu (Californie) qui lança the US Navy Marine Mammal Program en 1960. Les premiers articles sur le programme parurent en 1965 et de nombreuses idées fuitèrent sur l'objet des recherches : repérer les mines sous-marines, l'épave d'un avion, des plongeurs, récupérer du matériel au fond de la mer, attaquer des plongeurs en leur arrachant leur détendeur, couler les navires adverses. En 1970, le projet « Quick Find » avait pour objectif le dressage d’otaries et de dauphins destinés à la récupération des éléments de fusées tombés en mer. La liste des missions ne cessa de s'étoffer : protéger les bases navales contre une intrusion, les porte-avions, filmer les pipelines sous-marins et les câbles téléphoniques, etc.

Pour qu'un animal puisse remplir ces missions, il se doit de posséder des récepteurs sensoriels performants car la vue est de peu d'utilité au-delà d'une centaine de mètres de profondeur. Le choix se porta vers le Grand dauphin, un mammifère qui vit dans toutes les mers chaudes et tempérées, bien connu pour sa curiosité et son intelligence. Le dauphin capable de se déplacer à 40 km/h ne possède pas la vision binoculaire, il n'a pas le sens du relief, par contre son spectre sonore est très étendu, il perçoit les sons compris entre 220 hz et 250 kHz ! plonge à quelques centaines de mètres de profondeur, comprend 150 mots, à une conscience de soi (le dauphin a un coefficient d’encéphalisation de 5, l'Homme 7, le chimpanzé 3.3, et il se reconnaît dans un miroir, capacité rare dans le monde animal) base d'une forme d'altruisme entre congénères, et possède un langage propre à chaque espèce. Le dauphin utilise les basses fréquences pour communiquer (chants), et des clics pour l'écholocation qui peut atteindre 600 clics/sec et 220 décibels ! Il communique également par son comportement corporel : sauts, claquement des nageoires, etc., est sensible au toucher (il semble apprécier de vivre collé à ses congénères et les caresses de son soigneur), mais ne possède guère le sens de l'olfaction (l'eau filtrée par l'évent est « goutée » et non sentie).

La série Flipper le dauphin diffusée dans les années soixante a été à la base de l'anthropocentrisme (dont Vladimir Markov est un des tenants) pour ce mammifère qui reste un animal sauvage. Capturé au large, il doit être dressé pour : la tâche à laquelle on le destine - obéir aux directives de son soigneur (gestes, comportements, attitudes, sifflet à ultrasons) et au rappel - traduire ses réactions en forme de réponse. Comme pour le chien, le dressage ou éducation repose sur les réflexes pavloviens. L'animal est mis à la diète afin de l'inciter accepter la nourriture offerte par l'homme, et la suite requiert plus d'un millier de séances d'entraînement dans des bassins de plus en plus grands avant de lâcher l'animal en pleine mer. Pour s'assurer de son retour, son rostre est coiffé d'une « muselière » qui l'empêche de se nourrir, le rendant ainsi dépendant de son instructeur pour sa pitance ! Le programme a également intégré des otaries retenues pour leur ouïe fine et leur vision dans les eaux troubles. Si on bande les yeux d'une otarie placée dans un bassin dans lequel se déplace un nageur, elle est capable d'en retracer le parcours grâce à ses vibrisses !

US Navy posséderait quatre-vingt dauphins, une trentaine d'otaries, et consacrerait un budget annuel de vingt millions de dollars à ce programme. Les dauphins formant le gros des « troupes » est basé à San Diego (Californie) où ils vivent dans des enclos linéaires..., d'où ils peuvent être extraits et transportés suspendus dans leur hamac partiellement submergé dans un réservoir d’eau, n'importe où dans le monde en 72 heures ! Le 11 avril 2017, Makai, un dauphin âgé de 46 ans relevant de l’Explosive Ordnance Disposal Mobile Unit Three de Coronado (Californie) qui avait été capturé en 1974 au large de la Floride et déployé dans le golfe Persique en 2003, a dû être euthanasié.

La première utilisation de ces supplétifs sur un théâtre d'opération fut le Vietnam (1971- 1972), Bahrein (1986-1987), le Golfe lors des conflits en Irak, « Blue game » en 2001 pour localiser les mines sous-marines datant de la Seconde Guerre mondiale au large de la Norvège, en 2003 pour déminer le port d'Umm Qasr et permettre le passage d'un navire transportant de l’aide humanitaire.

Ce genre de recherches ne pouvait laisser les Soviétiques indifférents. Le programme d'entraînement des dauphins au sein de la Marine soviétique a été lancé en 1973 à Sébastopol. Quel changement du côté russe ! jusqu'en 1966, les dauphins de la mer Noire étaient pêchés pour finir sur une table ! Au moment de la dissolution de l’URSS, cette dernière possédait 150 grands dauphins, bélugas, orques (espèce plus adaptée aux eaux froides) et une cinquantaine d'otaries. L'Ukraine connaissant de sérieuses difficultés économiques, se résolut à vendre des dauphins à l'Iran (2000) ! Au mois de mars 2016, la marine russe a lancé un appel d'offres pour l'achat de deux femelles et trois dauphins mâles pour un montant de 1,75 million de roubles (22 300 euros).

Ces programmes qui furent tenus longtemps secret a fait l'objet de nombreuses controverses, comment des dauphins seraient-ils capables de faire la différence entre un navire allié et ennemi (présence d'un transpondeur, signature sonore ?), d'autre part, le dauphin ne semble pas prêt à se sacrifier pour faire sauter un bâtiment, et rien n'a filtré sur les contre-mesures possibles, si l'orque est l'ennemi des dauphins, tous les mammifères restent sensibles à des contre-mesures acoustiques.

L'USNavy envisage le déploiement d'un réseau de Low Frequency Actif Sonars capable de couvrir près de 80 % des océans afin de détecter la présence de sous-marins ; appareil qui pourrait brouiller l'écholocation utilisé par de nombreux animaux marins. Le système LFAS d'une puissance de 240 décibels émet des ultrasons qui atteignent encore à 480 kilomètres de leur source, une puissance de 120 décibels. Des essais de ce sonar ont été mis en cause après les échouages et décès de cétacés en Grèce, au Bahamas et dans les îles Canaries. Les animaux autopsiés ont révélé quils avaient succombé à des hémorragies de l'oreille interne.

Les scientifiques savent encore peu de chose sur la nocivité des ultrasons basses fréquences sur les cétacés (à moins qu'ils ne préfèrent se taire..., car l'acoustique sous-marine est étudiée par toutes les Marines du monde). En 1998, le rapport commandé par le Conseil de défense des ressources naturelles à l'USN sur l'impact de ces sonars sur la vie marine, fait mention d'étourdissements et de vertiges sur des baleines situées à environ 500 mètres de la source ultrasonore. D'autres séries d'essais effectuées au large des îles d'Hawaï eurent pour conséquence d'éloigner la présence des baleines et d'attirer une concentration anormale de requins marteaux ! Le débat est loin d'être clos, mais il reste étrange de découvrir après des manœuvres de l'OTAN, un nombre anormal de baleines ayant succombé à des hémorragies cérébrales (douze baleines en 1996 en Grèce et quinze en septembre 2002 aux îles Canaries).


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