Après
la chute de l'Union soviétique et le partage de la Flotte de la
mer Noire entre Moscou et Kiev, l'unité militaire des
mammifères marins passa sous le contrôle de l'Ukraine qui l'affecta
à la delphinothérapie destinée aux enfants atteints de troubles
psychiques, puis de la réaffecter en 2012 à un programme militaire.
Le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie intervenu
le 18 mars 2014 inversa la « donne ». La Russie récupérait les
dauphins militaires et l'infrastructure de l'océanarium d'État de
Sébastopol. Un mois plus tard, l'US Navy déployait vingt
dauphins et dix d'éléphants de mer acheminés par avion spécial
pour participer à des manœuvres de l'OTAN en mer Noire. Leur
mission ? tester un système de contre-mesures destiné à tromper
les sonars adverses.
C'est
la Suède qui eut l’idée, en 1942, d’utiliser des animaux marins
pour couler les U-booten allemands. Des phoques porteurs d'une charge
magnétique sous-marine devaient venir se placer sous les coques des
sous-marins, la charge d'exploser en présence de la coque
métallique. Les recherches tombèrent dans l'oubli avant d'être
reprises par The Naval Undersea Research Development Center
Point Mugu (Californie) qui lança the US Navy Marine Mammal
Program en 1960. Les premiers articles sur le programme parurent
en 1965 et de nombreuses idées fuitèrent sur l'objet des recherches
: repérer les mines sous-marines, l'épave d'un avion, des
plongeurs, récupérer du matériel au fond de la mer, attaquer des
plongeurs en leur arrachant leur détendeur, couler les navires
adverses. En 1970, le projet « Quick Find » avait
pour objectif le dressage d’otaries et de dauphins destinés à la
récupération des éléments de fusées tombés en mer. La liste des
missions ne cessa de s'étoffer : protéger les bases navales contre
une intrusion, les porte-avions, filmer les pipelines sous-marins et
les câbles téléphoniques, etc.
Pour
qu'un animal puisse remplir ces missions, il se doit de posséder des
récepteurs sensoriels performants car la vue est de peu d'utilité
au-delà d'une centaine de mètres de profondeur. Le choix se porta
vers le Grand dauphin, un mammifère qui vit dans toutes les mers
chaudes et tempérées, bien connu pour sa curiosité et son
intelligence. Le dauphin capable de se déplacer à 40 km/h ne
possède pas la vision binoculaire, il n'a pas le sens du relief, par
contre son spectre sonore est très étendu, il perçoit les sons
compris entre 220 hz et 250 kHz ! plonge à quelques centaines de
mètres de profondeur, comprend 150 mots, à une conscience de soi
(le dauphin a un coefficient d’encéphalisation de 5, l'Homme 7, le
chimpanzé 3.3, et il se reconnaît dans un miroir, capacité rare
dans le monde animal) base d'une forme d'altruisme entre congénères,
et possède un langage propre à chaque espèce. Le dauphin utilise
les basses fréquences pour communiquer (chants), et des clics pour
l'écholocation qui peut atteindre 600 clics/sec et 220 décibels !
Il communique également par son comportement corporel : sauts,
claquement des nageoires, etc., est sensible au toucher (il semble
apprécier de vivre collé à ses congénères et les caresses de son
soigneur), mais ne possède guère le sens de l'olfaction (l'eau
filtrée par l'évent est « goutée » et non sentie).
La
série Flipper le dauphin diffusée dans les années
soixante a été à la base de l'anthropocentrisme (dont
Vladimir Markov est un des tenants) pour ce mammifère qui reste un
animal sauvage. Capturé au large, il doit être dressé pour : la
tâche à laquelle on le destine - obéir aux directives de son
soigneur (gestes, comportements, attitudes, sifflet à ultrasons) et
au rappel - traduire ses réactions en forme de réponse. Comme pour
le chien, le dressage ou éducation repose sur les réflexes
pavloviens. L'animal est mis à la diète afin de l'inciter accepter
la nourriture offerte par l'homme, et la suite requiert plus d'un
millier de séances d'entraînement dans des bassins de plus en plus
grands avant de lâcher l'animal en pleine mer. Pour s'assurer de son
retour, son rostre est coiffé d'une « muselière » qui l'empêche
de se nourrir, le rendant ainsi dépendant de son instructeur pour sa
pitance ! Le programme a également intégré des otaries retenues
pour leur ouïe fine et leur vision dans les eaux troubles. Si on
bande les yeux d'une otarie placée dans un bassin dans lequel se
déplace un nageur, elle est capable d'en retracer le parcours grâce
à ses vibrisses !
US
Navy posséderait quatre-vingt dauphins, une trentaine d'otaries,
et consacrerait un budget annuel de vingt millions de dollars à ce
programme. Les dauphins formant le gros des « troupes » est basé à
San Diego (Californie) où ils vivent dans
des enclos linéaires..., d'où
ils peuvent être extraits et transportés suspendus dans
leur hamac partiellement submergé dans un réservoir d’eau,
n'importe où dans le monde en 72 heures ! Le
11 avril 2017, Makai, un dauphin âgé de 46 ans relevant
de l’Explosive Ordnance Disposal Mobile Unit Three
de Coronado (Californie) qui avait été capturé en 1974 au large de
la Floride et déployé dans le golfe Persique en 2003, a dû être
euthanasié.
La
première utilisation de ces supplétifs sur un théâtre d'opération
fut le Vietnam (1971- 1972), Bahrein (1986-1987), le Golfe lors des
conflits en Irak, « Blue game » en 2001 pour localiser
les mines sous-marines datant de la Seconde Guerre mondiale au large
de la Norvège, en 2003 pour
déminer le port d'Umm Qasr et permettre le passage d'un navire
transportant de l’aide humanitaire.
Ce
genre de recherches ne pouvait laisser les Soviétiques indifférents.
Le programme d'entraînement des dauphins au sein de la Marine
soviétique a été lancé en 1973
à Sébastopol. Quel changement du côté russe ! jusqu'en 1966, les
dauphins de la mer Noire étaient pêchés pour finir sur une table !
Au moment de la dissolution de l’URSS, cette dernière
possédait 150 grands dauphins, bélugas, orques (espèce plus
adaptée aux eaux froides) et une cinquantaine d'otaries. L'Ukraine
connaissant de sérieuses difficultés économiques, se résolut à
vendre des dauphins à l'Iran (2000) ! Au mois de mars 2016,
la marine russe a lancé un appel d'offres pour l'achat de deux
femelles et trois dauphins mâles pour un montant de 1,75 million de
roubles (22 300 euros).
Ces
programmes qui furent tenus longtemps secret a fait l'objet de
nombreuses controverses, comment des dauphins seraient-ils capables
de faire la différence entre un navire allié et ennemi
(présence d'un transpondeur, signature sonore ?), d'autre part, le
dauphin ne semble pas prêt à se sacrifier pour faire sauter un
bâtiment, et rien n'a filtré sur les contre-mesures possibles, si
l'orque est l'ennemi des dauphins, tous les mammifères restent
sensibles à des contre-mesures acoustiques.
L'USNavy
envisage le déploiement d'un réseau de Low
Frequency Actif Sonars capable
de couvrir près de 80 % des océans afin de détecter la présence
de sous-marins ; appareil qui pourrait brouiller l'écholocation
utilisé par de nombreux animaux marins. Le système LFAS d'une
puissance de 240 décibels émet des ultrasons qui atteignent encore
à 480 kilomètres de leur source, une puissance de 120 décibels.
Des essais de ce sonar ont été mis en cause après les échouages
et décès de cétacés en Grèce, au Bahamas et dans les îles
Canaries. Les animaux autopsiés ont révélé qu’ils
avaient succombé à des hémorragies de l'oreille interne.
Les
scientifiques savent encore peu de chose sur la nocivité des
ultrasons basses fréquences sur les cétacés (à moins qu'ils ne
préfèrent se taire..., car l'acoustique sous-marine est étudiée
par toutes les Marines du monde). En 1998, le rapport commandé par
le Conseil de défense des ressources naturelles à l'USN sur
l'impact de ces sonars sur la vie marine, fait mention
d'étourdissements et de vertiges sur des baleines situées à
environ 500 mètres de la source ultrasonore. D'autres séries
d'essais effectuées au large des îles d'Hawaï eurent pour
conséquence d'éloigner la présence des baleines et d'attirer une
concentration anormale de requins marteaux ! Le débat est loin
d'être clos, mais il reste étrange de découvrir après des
manœuvres de l'OTAN, un nombre anormal de baleines ayant succombé à
des hémorragies cérébrales (douze baleines en 1996 en Grèce et
quinze en septembre 2002 aux îles Canaries).
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