Le
1 octobre 2017, Stephen Paddock qui occupe une chambre au 32° étage
du Mandalay Bay de Las Vegas (Nevada) tire à l'arme automatique
depuis sa chambre après en avoir brisé deux vitres, sur la foule
distante de 360 mètres venue assister à un concert de country. La
fusillade va durer une dizaine de minutes et le tireur tuer 59
personnes et en blesser 515 avant de se suicider, mettant ainsi un
terme à son carnage. Hillary Clinton a déclaré : « Imaginez le nombre de morts si le tireur avait eu un silencieux comme la National Rifle Association veut en faciliter l'obtention ? »
Les
utilisateurs de silencieux se trouvent repartis dans plusieurs
catégories : les tireurs sportifs qui ne veulent pas troubler le
voisinage, ceux qui ne veulent pas finir sourds, les snipers et
tireurs d’élites des groupes d'interventions qui ont parfois pour
mission de neutraliser une personne sans que ses complices puissent
deviner d’où le coup est parti, catégories auxquelles viennent
s’ajouter les personnes aux motivations peu avouables :
braconniers, criminels et psychopathes.
Bien
que le terme silencieux ne fasse pas l’unanimité chez les
puristes, ces derniers préférant le terme de modérateur de son car
le son n’est pas totalement supprimé mais seulement réduit, nous
l’emploierons l’un pour l’autre en sacrifiant à l’usage. Le
silencieux permet non seulement de réduire le bruit qui sera
d’autant plus masqué que le bruit ambiant sera plus élevé (si
l'arme du tueur avait été pourvue d'un «
silencieux »,
le bruit du concert aurait couvert le bruit résiduel, mais
certainement pas pour l'occupant d'une chambre voisine) - il altère
le son en le rendant moins significatif - rend la localisation plus
difficile - fausse l’appréciation de la distance d’où le coup
est parti. D'autre part, le silencieux se comportant comme une cavité
résonnante, va modifier la fréquence initiale de l’explosion
(voisine de 700 Hz pour un fusil et du double pour un pistolet).
Cette modification plus ou moins prononcée contribue à la
non-reconnaissance d‘un tir lorsque la distance est supérieure à
une cinquantaine de mètres, phénomène en cause lors de l'attentat
du président J.F.K. A noter que le silencieux tient lieu de
cache-flamme de bouche, flamme qui pourrait trahir l’emplacement du
tireur. Contrairement à une idée répandue, un tireur formé
correctement ne se placera jamais dans l'embrasure d'une ouverture...
Le
véritable développement d'une arme à feu silencieuse apparaît
lors de la Seconde Guerre mondiale. Les commandos ont alors besoin
d'une arme capable de tuer une sentinelle à distance (fusil de
Lisle). Si les commandos avaient besoin d'une arme d'épaule, les
agents opérant en territoire occupé avaient eux besoin d'une arme
de poing, cela donnera le pistolet silencieux Welrod. Le
silencieux est constitué du canon ajouré de l'arme, suivi d'une
chambre «
élastique »
composée de rondelles de caoutchouc percées en leur centre, le tout
entouré d'un manchon métallique. Il s'agit d'une arme à répétition
manuelle disponible en trois calibres : .32, 9 mm et .45. Le principe
à répétition manuel a été retenu pour sa fiabilité de
fonctionnement, car l'adjonction d'un silencieux réduit la pression
des gaz qui peut devenir insuffisante pour faire reculer la culasse
et être à l'origine d'un incident de tir (il faut réduire la force
du ressort récupérateur).
L'adjonction
d'un silencieux n'est pas sans avoir une incidence sur la puissance
de la munition utilisée. La balle en calibre .45 voit sa vitesse
réduite à 200 m/sec, son énergie tomber à 14 kgm (environ 140
joules) et son niveau sonore à 120 dB. L'énergie disponible
restante est inférieure à celle d'une .22 LR subsonique ! La
guerre terminée, la Central
Intelligence Agency va
doter ses tueurs et ses pilotes d'un pistolet silencieux
semi-automatique High
Standard en calibre .22,
arme qui équipe aussi nombre de snipers pour assurer leur sécurité
personnelle. Contrairement à ce que nous montre le cinéma,
l‘utilisation conjointe revolver-silencieux est quasi inutile, les
gaz refoulés vers l’arrière s’échappent par la feuillure du
canon et du barillet.
L'utilisation
conjointe d'un silencieux sur une arme automatique n'est possible
qu'avec une arme ayant reçu des modifications lors de sa fabrication
(troisième génération ou plus). Pour l’utiliser un silencieux
sur une arme disposant d'une grande cadence de tir utilisant des
munitions à grandes vitesses, il convient de réduire la pression
des gaz en les laissant s’échapper via une série d’orifices
pratiqué proche de la chambre de la culasse ou le long du canon. Une
arme utilisée avec un silencieux et dépourvue de ces aménagements
refoule une partie des gaz vers le visage du tireur ! La mise au
point en reste délicate, car l’emplacement, le nombre, le
diamètre, et l’inclinaison des orifices sont critiques.
Les
bruits générés par une arme à feu sont liés à trois phénomènes
distincts : les parties mécaniques de l’arme - la détonation - le
déplacement de la balle dans l’air. Les cycles mécaniques d’une
arme peuvent générer des bruits d’un niveau de 60 décibels,
soit celui d’une conversation normale. La détonation est liée
l'évacuation soudaine de l’air contenu dans le canon, phénomène
acoustique en partie lié à la tolérance canon / balle, et celle du
silencieux (tolérance inférieure à 1 /10 mm). L’onde de bouche
est provoquée par l’explosion rapide des gaz qui se mélangent
rapidement avec l’air atmosphérique et qui s’enflamment. C’est
la principale source de bruit, elle peut atteindre plus de 170 dB
(par comparaison, un avion au décollage fait un bruit d'environ 140
dB).
Le
déplacement de la balle dans l’air est générateur de plusieurs
bruits : l’onde d’irruption qui dépend de la balle (masse forme,
CX, dimensions). Une balle subsonique produit durant sa trajectoire
un sifflement assez fort (95 dB) qui peut être identifié à
distance, si la balle est imparfaitement stabilisée, elle va générer
un ronflement dont l’intensité est parfois bien supérieure au
sifflement, et l’onde balistique reste liée au cône de gaz qui
accompagne la balle qui se heurte aux couches d’air immobiles
rencontrées sur sa trajectoire (mur du son).
Étant
souvent fait référence à la notion de décibels, précisons que
ceux-ci sont utilisés lorsqu’il s’agit de comparer des niveaux
sonores. Les décibels ne sont pas une unité. Il s'agit d'un nombre
sans dimension qui désigne un rapport de puissance basé sur une
échelle logarithmique permettant de traduire les énormes
différences d’intensité sonore sous une représentation linéaire.
Ainsi et par référence, le seuil d’audition est de 0 dB pour un
facteur d’intensité sonore égale à un. Chaque augmentation de 10
dB traduit une augmentation d’un rapport de 10. Un exemple
permettra de mieux comprendre : le niveau sonore d’une feuille
tombant d’un arbre correspond à 10 dB, le facteur d’intensité
sonore est donc multiplié par dix. Une musique douce est de 40 dB,
cela signifie que l’intensité a été multipliée par 10.000 fois.
Un son de 100 dB correspond a une augmentation de 10.000.000.000,
soit 1010 ! Un fusil d‘assaut produit une intensité
sonore de 170 dB, 1017 ! Un exemple tactique, lors de
l’intervention de groupes antiterroristes, s'il est nécessaire par
de neutraliser plusieurs individus, les tirs seront simultanés. Les
sources sonores étant de même intensité, l’augmentation
résultante ne sera que de trois dB pour deux tireurs ou de six dB
pour quatre (accroissement de trois décibels à chaque fois que l’on
double le nombre de tireurs).
Un
excellent silencieux peut apporter une réduction de 40 dB, mais ce
chiffre se situe en général aux environs de 30 dB, ce qui
correspond peu ou prou à l'atténuation offerte par une porte
fermée, pour un fusil d'assaut cela représente déjà une intensité
restante de 140 dB ! Par contre, la durée étant très brève, le
cerveau perçoit ce pic sonore différemment d’un son continu. Les
muscles des tympans destinés à réduire la transmission des sons
lorsque ceux-ci sont trop élevés, agissent automatiquement pour
protéger l’oreille. Il convient dans l’intensité sonore perçue,
de prendre en compte la distance de la source sonore.
L'affaiblissement du son en fonction de la distance correspond à 20
fois le logarithme de la distance exprimé en mètres. Si nous avons
110 dB à un mètre de la bouche du canon, nous aurons à 300 mètres
(log 2,477) une atténuation de 49 dB, soit une intensité sonore
restante de 61 dB ce qui correspond au niveau sonore d'une
conversation, niveau largement couvert par l'orchestre (rapport S/B).
La
présence d’un silencieux accroît la dispersion des munitions,
réduit leur portée, ce d’autant plus qu’il est fait usage de
balles subsoniques. Il offre par contre l'énorme avantage
d'introduire une difficulté supplémentaire pour la localisation de
l'emplacement du poste de tir. Il existe une zone latérale de
confusion, il sera impossible pour des témoins placés dans la zone
arrière de localiser l’origine du tir. Seuls ceux situés dans un
angle avant d'environ quatre-vingts degrés pourront avoir une idée
assez exacte de l'emplacement du tireur. La température et
l'altitude affectent également le niveau sonore, mais la correction
reste négligeable. Pour une altitude de 2000 mètres et une
température de 0 degré centigrade, la minoration sera d’environ 1
dB. Pour la perception du coup de feu il faut tenir compte : des
facteurs topographiques, de la direction du vent, du bruit de fond,
et de la présence d’éventuels phénomènes de réverbération
sonore.
La
réverbération trouve son origine dans la rencontre de l’onde
sonore avec une paroi sur laquelle le son vient se réfléchir. Lors
du bruit de la détonation, si l’on perçoit entre un indice visuel
du tir et que l’on entende le son avec un retard d'une seconde,
l’on peut déduire une distance de tir voisine de 330 m. Par
contre, le son qui va se réfléchir sur des obstacles va accomplir
un parcours sonore plus long, d’où la perception d’un ou de
plusieurs autres sons auxiliaires. Sachant cela, il est possible
qu’un tireur averti cherche à se placer de façon à bénéficier
du phénomène de réverbération pour induire un doute quant à son
emplacement. L'officier de sécurité ne devra jamais perdre de vue
que le premier son perçu est le seul à être révélateur de
l’emplacement d'un tireur embusqué, les autres n'étant guère
significatifs.
Tout
silencieux s’appuie sur les lois physiques régissant les gaz. Une
loi universelle nous enseigne que la pression varie directement et
proportionnellement avec la température. Si on diminue la
température, la pression se trouve elle aussi diminuée, et
vice-et-versa. Ce principe théorique a servi de postulat à un
Autrichien pour déposer un brevet en 1900, mais c’est sans
conteste Maxim qui a le plus participé à l’évolution des
silencieux en déposant en 1907 un brevet pour un silencieux à
chambres multiples. Le principe repose sur plusieurs chambres isolées
dans un corps cylindrique permettant aux gaz de se détendre et de
créer une série de chocs entre eux, de façon à venir se contrer
mutuellement, contribuant de ce fait à en retarder la sortie. Il
perfectionna son système en l’équipant de déflecteurs ayant la
forme de champignons empilés les uns à la suite des autres,
contribuant à réduire l’onde sonore initiale.
La
carabine et le pistolet silencieux utilisés pendant la Seconde
Guerre mondiale reposaient sur l'effet vortex généré par une
rampe hélicoïdale destinée à refroidir les gaz en créant un
tourbillon creux formant une spirale. Ce principe simple de
construction (il s'agit de rondelles fendues dans leur partie
supérieure et écartée pour former une spirale), favorise
l'apparition de fortes turbulences et allonge selon le pas de
l’hélice, le trajet parcouru par les gaz en contribuant à en
retarder la sortie. L’annulation de l’onde de choc se propageant
dans le silencieux est accrue par deux rampes montées tête-bêche.
Pour
limiter l’importance de l’onde initiale dans le phénomène
acoustique, il convient d’usiner les pièces avec une tolérance
mécanique la plus faible possible (tolérance H7). Si les orifices
sont sur-dimensionnés, une partie des gaz va s'échapper avant la
balle. Pour supprimer ce problème, l’on fait appel à des
diaphragmes élastiques ou souples (Néoprène, feutre, éponge)
pourvus en leur centre d'une fente en «Y»
ou en «X».
Après le passage de l’ogive, l'ouverture se rétracte
immédiatement et ne laisse filtrer que les gaz. L’onde de bouche
due à l'expansion soudaine des gaz et de l’effet détonnant
responsables du pic sonore sont à l'origine de l'inflammation des
résidus de combustion (cache-flamme).
Réglementer
la vente des silencieux ne servirait pas à grand chose. Partant du
principe qu’un silencieux fonctionne comme un pot d’échappement,
certains ont modifié un pot de tondeuse à gazon en perçant un trou
de part en part et en bourrant l’espace entre les chicanes avec de
la laine métallique ! C’est ce principe à base de baffles que
l’on retrouve sur le pistolet-mitrailleur dissimulé dans un
attache case.
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