Le
17 mai 1983, le corps de madame Seban est découvert dans la penderie
à son domicile de Caderousse (Vaucluse). Elle a été tuée par un
projectile 22LR tiré avec la carabine appartenant à son mari. Les
soupçons se portent rapidement sur Philippe Gantois, légionnaire au
1° Régiment de cavalerie d'Orange. Son frère et sa belle-sœur
signent le PV dans lequel y est écrit que Philippe leur a confié
être l'auteur du crime. Le 6 mars 1985, le frère et la belle-sœur
reviennent sur leur déposition, ils affirment devant le tribunal que
les gendarmes les ont menacés de les incarcérer et de placer leur
enfant à la DDASS ! Gantois revient lui aussi sur ses aveux,
d'expliquer que les gendarmes l'ont frappé et menacé de le torturer
à l'électricité avant de le jeter dans le Rhône ! Le jury
condamne cependant Gantois à 15 années d'emprisonnement ! La Cour
de Cassation ayant annulé le jugement, un nouveau procès eut lieu
les 20 et 21 juin 1986 devant la Cour d'assises de l'Isère. Les
défenseurs de Gantois firent le procès des investigations conduites
par la gendarmerie et parvinrent à faire reconnaitre l'innocence de
leur client.
Cette
affaire sera à l'origine de la réforme judiciaire permettant aux
condamnés d'interjeter appel devant une Cour d'assises. En se
fourvoyant et en accusant à tort un innocent, la justice n'a plus à
rechercher le véritable coupable. «
Il vaut mieux hasarder de
sauver un coupable que condamner un innocent
»
(Voltaire). Les droits de l'individu sont souvent bafoués lors d’un
interrogatoire et les conditions de son déroulement ébranlent
la personnalité et les capacités de n'importe quel citoyen. Le
moindre signe de faiblesse sera exploité pour le manipuler et
prendre l'ascendant sur son esprit.
Le
policier doit faire parler la personne afin d'obtenir d'elle des
informations qu'elle a peut être l'intention ou intérêt à taire.
L'interrogateur est un acteur qui écrit ses propres dialogues et
joue différents rôles, il peut se transformer en «
père »,
en juge, en «
grand-frère
»,
etc. L'interrogateur doit motiver la personne interrogée afin d'en
obtenir la coopération la plus complète possible. L'interrogateur
commence par se situer socialement à l'autre, cela se fait
généralement par le rapprochement de points communs qui ne servent
qu'à briser la glace et à faciliter la prise des repères sociaux.
La collaboration pleine et entière de la personne auditionnée n'est
jamais acquise totalement ni définitivement. Des réticences, voire
une résistance nouvelle peut apparaître surtout s'il s'agit de
questions embarrassantes appartenant au domaine de sa vie privée. La
collaboration peut être partielle, sélective, déniée et remise en
cause devant le juge d'instruction ou le tribunal.
L'état
émotif peut parasiter l'interrogatoire, l'interrogé formule des
réponses évasives, fait montre d'une difficulté à fixer son
attention, ne parle que pour son propre compte, ou bien est incapable
de répondre : étranger, muet, ou muré dans le silence. Le mutisme
peut être absolu, partiel, continu ou intermittent, volontaire ou
involontaire. L'intelligence a un effet sur les capacités de
jugement, le raisonnement, l'attention, et une répercussion sur la
capacité d'imagination, imagination qui peut être diminuée,
accrue, pervertie (erreur, délire). Le langage est généralement
associé à l'intelligence, l'interrogateur peut y déceler des
éléments significatifs de la personnalité (prétention, timidité,
etc.). En ce qui concerne la modification de la voix au cours de
l'interrogatoire, cela peut traduire le trouble, le doute, la crainte
ou trahir l'histrionisme.
Le
choc de l'arrestation peut suffire chez certains à déclencher une
bouffée délirante ou un état maniaque : mégalomanie, humilité,
indignité, auto-accusation, persécution, jusqu'alors passé
inaperçu. Une personne souffrant de confusion mentale éprouve
l'incertitude et présente une désorientation dans le temps et
l'espace, ses réponses peuvent être : vagues, embrouillées,
incohérentes, et elle éprouve la plus grande difficulté à fixer
son attention. La logorrhée peut venir contaminer l'inter-relation
et l'interrogé confondre les périodes, les faits, les lieux. Un
étude de Binet a établi que les erreurs dans un interrogatoire
peuvent osciller entre 26 et 60 % !
La
mémoire d'un individu peut être exagérée, diminuée, être plus
ou moins sélective pour n'atteindre que certaines parties du vécu,
pervertie (jamais vu, déjà vu, déplacement dans le temps, lieux),
abolie (amnésie globale ou lacunaire pouvant favoriser une
affabulation ou suggestibilité). L'impossibilité à se souvenir
d'un acte, de la chronologie de son exécution est souvent le signe
d'obtusion, d'obnubilation, ou d'une amnésie de fixation, sans
oublier les dysfonctionnements ou infirmités, le sourd ne peut
parler de ce qu'il a entendu, ni l'aveugle de ce qu'il a vu.
Les
interrogateurs vont tenter de susciter chez l'individu le désir de
parler, de s'expliquer, de se justifier. Tout enquêteur sait que la
première chose à faire pour inciter une personne à parler est
d'entraîner chez elle un état de dissonance
cognitive en
l'obligeant à soutenir, en même temps deux idées ou deux opinions
inconciliables, comme l'honnêteté et la déshonnêteté, le bien et
le mal, etc., (études de Festonner et Carlsmith). La situation étant
désagréable, l'individu cherche à faire disparaître la tension
par tous les moyens à sa disposition, et cela lui sera d'autant plus
facile que l'interrogateur va lui proposer des circonstances
minorantes : «
parlez, le juge en tiendra compte, à votre place j'aurais agi de
même »,
etc., et la tension du moment venir s'opposer à tout auto-contrôle
L'interrogatoire
est une situation limite dans laquelle l'interrogateur est
à l'origine chez l'interrogé de mécanismes de défense plus ou
moins bien adaptés à la situation. L'enquêteur qui empêche
un citoyen de quitter le commissariat, d'aller aux W-C, de fumer, de
se reposer, etc., contribue à l'apparition d'un stress actif
externe, tandis que la tension psychique entre les besoins
contradictoires (la gêne à mentir par exemple) peut être à
l'origine d'un stress interne.
L'attitude
psychologique de l'un ou l'autre des protagonistes peut transformer
la situation, et l'interrogé de traduire :
- une attitude hostile empreinte de colère dirigée vers autrui ;
- se culpabiliser et retourner l'agressivité vers lui ;
- une réaction d'embarras en cherchant à concilier les différents points de vue en cause.
La
réaction de l'individu peut se modifier au cours de
l'interrogatoire. L'individu peut commencer par se culpabiliser, puis
agacé par la situation, son agressivité apparaître et entraîner
une réaction hostile. L'inverse est tout aussi possible. D'autre
part, un individu peu combatif, naïf, immature pourra ne pas prendre
parfaitement conscience de ce qu'il risque et se «
déboutonner ».
Voici
la sainte trinité de nombre d'interrogateurs pour déstabiliser
l'interrogé : la culpabilité qui va entraîner une mauvaise
conscience - la faute qui est susceptible d'entraîner la honte - la
crainte ou la peur. Rappelons que la culpabilité naît du non
respect d'une loi, tandis que la honte serait plutôt une entorse à
la loi morale capable entraîner à son tour une douleur morale. Il
est possible d'avoir honte sans pour cela éprouver la moindre
culpabilité. Les raisons pour entraîner la honte chez l'interrogé
ne manquent pas : utilisation de certains comportements connus de sa
vie privée, l'obliger à laisser la porte des toilettes ouverte et
placer un garde pour le surveiller, utiliser une infirmité, un
complexe, faire rejaillir sur lui la honte d'une famille, lui faire
éprouver la honte d'avoir honte. L'individu peut aussi se sentir
honteux de s'être laissé piégé ou d'avoir peur. La honte est une
arme redoutable, puisqu'il est possible d'entraîner chez une
personne un sentiment de honte alors qu'elle pensait faire le bien.
«
La situation n'a de réalité que par la représentation que l'on
s'en fait et de la propre estime que l'on a de soi. »
Pour éprouver de la culpabilité, point n'est besoin que l'interrogé
ait transgressé les lois, il suffit qu'il est transgressé un
interdit, ne fusse que culturel. La culpabilité naît d'un conflit
entre le Moi et le Sur moi. L'individu peut aussi ressentir cette
culpabilité d'avoir peur comme une faiblesse et ne pas tarder à
avoir honte de se sentir coupable. On notera que l'appartenance
éthique a une répercussion sur le ressenti de la honte ou de la
culpabilité. Les civilisations africaine et asiatique seraient plus
sujettes à la honte, et la civilisation occidentale à la
culpabilité.
Les
policiers sont susceptibles d'employer plusieurs techniques, en voici
quelques-unes :
Le
Choc psychologique : la personne arrêtée qui est sous l'emprise
d'un choc émotionnel est interrogée immédiatement.
La
Perte de dignité : le fait que
le suspect se voit privé de ses lacets, ait été dépossédé de sa
cravate, sa ceinture, ses lunettes, et soit passé à la fouille,
voilà déjà de quoi le diminuer psychologiquement et lui faire
comprendre qu'il ne tient qu'à lui que cette situation ridicule ne
cesse.
Le
Feu rapide : l'interrogateur pose des questions les unes derrière
les autres sans attendre les réponses du suspect pour le
déstabiliser et à le frustrer de la parole coupée. l'interrogé va
être sur la défensive et finir par se contredire.
La
Provocation : technique blâmable qui vise à provoquer le
suspect pour qu'il commette une faute (coup et blessure, rébellion,
bris de matériel), faute qui deviendra un atout policier.
Les
Remords : reposent sur le sentiment de culpabilité d'avoir fait
quelque chose de mal chez les personnes socialisées ou religieuses.
«
Comment pourrez-vous vivre avec un tel pêché sur la conscience ? »
Inutile de dire que cette approche ne fonctionne pas avec des
psychopathes ni avec des individus ayant des valeurs diamétralement
opposées.
Prouvez
votre innocence ! : On dit à l'individu qu'on ne le croit pas et
qu'il lui revient de livrer des détails prouvant ce qu'il avance.
Promesse
mensongère : approche blâmable, un fonctionnaire de police ne
dispose d'aucun moyen pour tenir certains engagements. L'affaire sera
instruite par le juge d'instruction et ensuite débattue
contradictoirement devant le tribunal. En aucun cas les magistrats se
sentent engagés par les promesses des policiers.
La
fatigue : le suspect est appelé
au milieu de la nuit pour être interrogé quelques minutes avant
d'être renvoyé en cellule, pour de nouveau être rappelé quelques
instants plus tard, ou lui fait tenir une position fatigante.
Audition
à décharge : l'enquêteur dit que son audition est à décharge
ou qu'il ne lui appartient pas de juger. Il tente de réunir les
éléments en faveur de l'interrogé et semble disposé à atténuer
la responsabilité.
La
Crainte des retombées : elle s'appuie sur la «
publicité »
que l'acte va déclencher sur l'interrogé, ses proches, ses
affaires, et qu'il est préférable de parvenir à une solution.
La
Dramatisation : l'interrogateur tient un discours paternaliste :
«
Si vous êtes vraiment coupable, vous allez avoir besoin d'un bon
avocat, et pas n'importe lequel. Il faudra prendre le meilleur qui
soit pour avoir une petite chance de ne pas en prendre pour le
maximum. Si vous êtes innocent, cela va vous conduire à jeter
l'argent par les fenêtres, et le juge pensera peut être que pour
prendre un bon avocat, c'est que vous êtes impliqué lourdement, et
renoncer à un ténor, c'est aussi la certitude d'en prendre pour le
maximum. Il ne tient qu'à vous de minimiser votre participation,
c'est de me raconter l'histoire ».
A
la limite des conventions humanitaires : sous alimentation,
retarder les besoins naturels, de soins, privation de sommeil,
privation de tous ses vêtements, l'isolement, le respect d'un
règlement mesquin dont la moindre omission entraîne des sanctions,
des brimades, voire des sévices.
Certaines
de ces pratiques peuvent conduire la personne interrogée à
l'auto-mutilation ou au suicide. Parmi les individus les plus à
risque : l'intoxiqué, le drogué, le mélancolique, l'halluciné, le
mystique, l'épileptique, le déséquilibré. Des signes précurseurs
peuvent exister : refus d'alimentation, mutilation, avilissement,
prosternement, phrase en suspens. Le calme apparent de l'individu
peut être le signe d'une décision déjà prise. Un seul moment
d'inattention suffit pour le passage à l'acte.
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