LES EXPLOSIFS DE FORTUNE OU ARTISANAUX
Jeudi
24 août 2017, la police judiciaire a ouvert une enquête après la
disparition d'un colis contenant 6 kilogrammes de nitrate de
potassium livré le 2 août au laboratoire de la faculté de médecine
de Nantes (Loire-Atlantique) ! Une disparition jugée très
inquiétante, car les nitrates se retrouvent souvent à la base des
éléments constitutifs des explosifs. Les chimistes recensent des
centaines de substances explosives dont certaines sont inattendues et
en vente libre (engrais, produits capillaires, désinfectants,
désherbants, détergents, médicaments) pouvant être utilisées
pour confectionner des explosifs de fortune (infortune ne serait-il pas plus adapté). Le
JO du 31 août 2017 a publié le décret relatif à la
commercialisation et à l'utilisation des précurseurs d'explosifs.
Tout individu désireux d'acheter des substances pouvant entrer dans
la composition d'explosifs devra donner son identité et préciser
l'usage qu'il veut en faire.
Si
la poudre est apparue pour la première fois en chine vers le VI°
siècle, elle fut découverte en Europe fortuitement par les
alchimistes qui cherchaient le secret de l'immortalité. Il faudra
attendre cependant le XIII° siècle pour que le franciscain Bacon la
découvre en 1250 avec un mélange de salpêtre, de soufre et de
charbon de bois. En 1775, Berthollet a l'idée de remplacer le
salpêtre par du chlorate. Les résultats sont très violents et
nombre d'expérimentateurs vont y perdre la vie. Vers 1830, les
chimistes tentent la nitration de tous les corps organiques connus,
cela va donner le coton-poudre ou nitrocellulose, et en 1847 à la
nitroglycérine. En 1863, Alfred Nobel a l'idée d'y adjoindre une
terre silicieuse qui donnera la dynamite, un explosif plus stable qui
nécessite l'usage d'un explosif primaire pour entraîner
l'explosion, le détonateur au fulminate de mercure découvert en
1850. Les explosifs chloratés ou cheddites vont apparaître vers la
fin du XIX° siècle (ils ont disparu du marché en 1961) en même
temps que la gélatinisation de la nitrocellulose et de la
nitroglycérine qui vont donner la Cordite. Les produits
dérivés des produits pétroliers, nitra-fuel, l'explosif S (mélange
de chlorate, de paraffine et de vaseline) ne sont apparus qu'au XX°
siècle.
La
matière n'est pas immuable, une substance mise en contact avec une
autre et soumise à une action : lumière, choc, friction,
rayonnement extérieur, pression, etc., peut se transformer et se
présenter sous une nouvelle forme avec des propriétés spécifiques.
Il a suffi de quelques dizaines de kilos d'un mélange de nitrate
d'ammonium et d'essence pour tuer 190 personnes lors de l'attentat de
Bali (octobre 2002). Les corps simples peuvent se combiner entre eux
pour former de nouvelles substances. L'INRS a répertorié plus de
4000 réactions chimiques dangereuses, l'explosion survenue dans
l'usine AZF est venue nous rappeler cette tragique réalité.
On
appelle explosifs de fortune les mélanges artisanaux réalisés à
partir d'ingrédients faciles à se procurer et afin de les
différencier des explosifs civils, militaires ou agricoles qui
offrent une sûreté d'utilisation bien plus grande. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, les résistants privés d'explosifs
fabriquaient de la nitroline, un explosif obtenu à partir du
sucre, d'un acide fort, de nitrate, et de cellulose.
Vue
de l'extérieur, une explosion se caractérise par l'apparition d'une
boule de feu accompagnée d'un violent souffle de gaz chaud. Si un
gramme d'essence dégage en brûlant entièrement 10 600 calories, il
requiert pour sa combustion complète, quatre fois son poids
d'oxygène, ce sont donc 5 grammes du mélange qui libèrent 10 600
calories. Toute la différence entre le mélange d'essence et de la
dynamite par exemple (1 700 cal/g), réside dans sa vitesse de
décomposition. La combustion d'un kilo d'essence fournit une
quantité de chaleur équivalente à plus de 7 kilos de
nitroglycérine, mais la vitesse de libération de l'énergie de
cette dernière se fait en un dix-millième de seconde ! Si
l'explosion a lieu dans un volume partiellement clos, les gaz
résultant de l'explosion qui ne peuvent se détendre, vont entraîner
une surpression intérieure jusqu'à l'instant où ils ne pourront
s'échapper par diverses ouvertures, permettant ainsi à l'équilibre
de se rétablir. Si la charge est contenue dans un autocuiseur, on
voit le volume de gaz se comprimer de plus en plus jusqu'à atteindre
la pression de rupture de l'enveloppe, principe de la grenade.
Il
faut se défier des formules traînant sur le Web, ces explosifs sont
extrêmement dangereux pour ceux qui les fabriquent et surtout pour
leurs voisins ! Printemps 2007, un
postier poursuivi pour le non-paiement d'amendes décide de s'en
prendre aux radars routiers de l'Ouest parisien, il va en détruire
onze en une année. Pour mener cette campagne de sabotage
réactionnel, il a commencé par parcourir Internet à la recherche
de formules dont il achète ensuite les ingrédients dans un
hypermarché. Le 28 mai 2008, alors qu'il prépare la mixture dans sa
cuisine, celle-ci explose. L'homme grièvement blessé va passer
plusieurs jours dans le coma entre la vie et la mort. Quand il
recouvre sa lucidité, il a perdu sa main gauche, trois doigts de sa
dextre, et a subi plusieurs greffes de peau. Aux policiers venus
l'interroger, il déclara : «
Je ne suis pas un
terroriste, je ne m'en suis pas pris à la population.
»
Des
connaissances en chimie ne sauraient suffire à s'improviser
chimiste-artificier, il ne suffit pas de savoir équilibrer une
formule (moles). Le comportement énergétique des molécules
explosives dépend de trois paramètres : leur composition chimique -
leur chaleur de formation - leur densité. Les molécules contenant
de l'azote (nitrates, chlorates, peroxydes) sont intéressantes parce
que cet élément se transforme presque intégralement en azote
gazeux sans consommer d'oxygène. Nous sommes en présence de groupes
explosophores très instables, et les formules livrées ne précisent
pas le mode fabrication. Il ne suffit pas de mélanger les substances
en proportions (volume, masse) correctes, encore faut-il être en
mesure d'en contrôler les réactions lors de leur préparation...
L'apprenti
chimiste connait sans doute le triangle du feu, mais connait-il
l'hexagone d'explosion, est-il familiarisé avec le bon usage d'une «
pierre » à
ébullition, au fait de l'importance de la granulométrie dans le
dosage ou de la concentration de la substance ? Prenons
l'exemple du TATP (triperoxyde de triacétone) ou peroxyde
d'hydrogène dont les djihadistes sont friands pour la confection de
leurs ceintures explosives. Cet explosif primaire aussi sensible que
le fulminate de mercure et facile de fabrication et difficile à
détecter, se présente sous forme d'une poudre blanche. Trois
substances (acétone, eau oxygénée et un acide fort) suffisent à
sa fabrication, encore faut-il qu'elles soient en concentrations
adéquates, ce qui est rarement le cas. La quantité d'une substance
est égale au quotient de la masse de l'échantillon en grammes sur
sa masse molaire. Un kilo d'eau par exemple, contient 1.000 gr/18,01
g/mol, soit 55,5 mol H2O. Si le «
chimiste »
se procure de l'acide concentré à 65 %, de combien de mol/l
disposera-t-il dans un litre sachant que d vaut 1,4 ?
La
réaction fortement exothermique peut provoquer de graves brûlures
et briser le récipient utilisé. Si la température reste
incontrôlée, le mélange produit une fumée blanche et détone !
Cette étape franchie, encore faut-il procéder à son lavage et à
la mesure du Ph. Son stockage n'est pas sans présenter de risques.
Il doit être conservé dans une substance particulière ou un
mélange stabilisant. Cet explosif de densité 1,2 capable de détoner
à 5.300 m-s-1 avec une efficacité de 80 % du TNT, peut
être utilisé comme explosif brisant ou soufflant...
Lorsqu'on
désire enflammer une bûche dans la cheminée, on utilise une
allumette pour enflammer un amas de papier qui va à son tour
enflammer du petit bois, puis enfin enflammer la bûche. Avec les
explosifs c'est exactement le même principe : il faut un moyen de
mise à feu, un moyen d'amorçage et une charge. On parle de chaîne
pyrotechnique (charge primaire, secondaire et principale). Le
TATP n'a pas besoin d'un détonateur ni même d'un inflammateur pour
détoner, un simple arc électrique, une source de chaleur, une
friction ou un choc suffit ! On comprend à la lueur de ces
précisions, la directive faite à certaines unités d'ouvrir le feu
en évitant de viser le torse chez une personne portant une «
ceinture »
explosive, à moins
qu'elle soit seule dans un endroit isolé !
Ce
n'est pas un hasard si dans certains pays, les attentats à
l'explosif représentent près de 60 à 80 % des attentats commis.
L'explosif est : bon marché - facile à se procurer - aisé à
mettre en place (véhicule, kamikaze, dans une poubelle, etc.) -
explosion activée à distance - explosion déclenchée par un
comportement (piège) - mise à feu à influence (barométrique,
interférence magnétiques, accélération, température, etc.) -
impact psychologique sur la population - il peut se présenter sous
différentes formes (liquide, solide, gazeuse, vapeurs, malléable) -
« destruction »
des preuves (le chlorate mélangé à d'autres substances en font un
explosif incendiaire).
Pour
l'utilisation optimum d'un explosif, encore faut-il savoir quel type
il convient d'utiliser : primaire, secondaire, soufflant, brisant -
sa nature (solide, liquide, pulvérulente, gazeuse) - en calculer la
charge (masse) - en déterminer la forme (linéaire, en couple,
concentrée, charge creuse, effet dirigé, à fragmentation, etc.) -
l'emplacement de son amorçage - la densité de chargement - son
emplacement qui doit prendre en compte les interférences du front de
l'onde explosive (domaine de la détonique). Ces quelques éléments
de réflexion expliquent pourquoi les terroristes sont souvent de
bien piètres artificiers qui compensent leur manque de technicité
par la masse de la charge et la présence de shrapnels (éclats).
Article
322-11-1 du code pénal : « La
détention ou le transport de substances ou produits incendiaires ou
explosifs ainsi que d'éléments ou substances destinées à entrer
dans la composition de produits ou engins incendiaires ou explosifs
en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits
matériels, des infractions définies à l'article 322-6 ou
d'atteintes aux personnes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de
75 000 euros d'amende. Les peines sont portées à dix ans
d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende lorsque ces faits sont
commis en bande organisée. »
°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire