mercredi 13 septembre 2017

LES EXPLOSIFS DE FORTUNE OU ARTISANAUX

Jeudi 24 août 2017, la police judiciaire a ouvert une enquête après la disparition d'un colis contenant 6 kilogrammes de nitrate de potassium livré le 2 août au laboratoire de la faculté de médecine de Nantes (Loire-Atlantique) ! Une disparition jugée très inquiétante, car les nitrates se retrouvent souvent à la base des éléments constitutifs des explosifs. Les chimistes recensent des centaines de substances explosives dont certaines sont inattendues et en vente libre (engrais, produits capillaires, désinfectants, désherbants, détergents, médicaments) pouvant être utilisées pour confectionner des explosifs de fortune (infortune ne serait-il pas plus adapté). Le JO du 31 août 2017 a publié le décret relatif à la commercialisation et à l'utilisation des précurseurs d'explosifs. Tout individu désireux d'acheter des substances pouvant entrer dans la composition d'explosifs devra donner son identité et préciser l'usage qu'il veut en faire.

Si la poudre est apparue pour la première fois en chine vers le VI° siècle, elle fut découverte en Europe fortuitement par les alchimistes qui cherchaient le secret de l'immortalité. Il faudra attendre cependant le XIII° siècle pour que le franciscain Bacon la découvre en 1250 avec un mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois. En 1775, Berthollet a l'idée de remplacer le salpêtre par du chlorate. Les résultats sont très violents et nombre d'expérimentateurs vont y perdre la vie. Vers 1830, les chimistes tentent la nitration de tous les corps organiques connus, cela va donner le coton-poudre ou nitrocellulose, et en 1847 à la nitroglycérine. En 1863, Alfred Nobel a l'idée d'y adjoindre une terre silicieuse qui donnera la dynamite, un explosif plus stable qui nécessite l'usage d'un explosif primaire pour entraîner l'explosion, le détonateur au fulminate de mercure découvert en 1850. Les explosifs chloratés ou cheddites vont apparaître vers la fin du XIX° siècle (ils ont disparu du marché en 1961) en même temps que la gélatinisation de la nitrocellulose et de la nitroglycérine qui vont donner la Cordite. Les produits dérivés des produits pétroliers, nitra-fuel, l'explosif S (mélange de chlorate, de paraffine et de vaseline) ne sont apparus qu'au XX° siècle.

La matière n'est pas immuable, une substance mise en contact avec une autre et soumise à une action : lumière, choc, friction, rayonnement extérieur, pression, etc., peut se transformer et se présenter sous une nouvelle forme avec des propriétés spécifiques. Il a suffi de quelques dizaines de kilos d'un mélange de nitrate d'ammonium et d'essence pour tuer 190 personnes lors de l'attentat de Bali (octobre 2002). Les corps simples peuvent se combiner entre eux pour former de nouvelles substances. L'INRS a répertorié plus de 4000 réactions chimiques dangereuses, l'explosion survenue dans l'usine AZF est venue nous rappeler cette tragique réalité.

On appelle explosifs de fortune les mélanges artisanaux réalisés à partir d'ingrédients faciles à se procurer et afin de les différencier des explosifs civils, militaires ou agricoles qui offrent une sûreté d'utilisation bien plus grande. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les résistants privés d'explosifs fabriquaient de la nitroline, un explosif obtenu à partir du sucre, d'un acide fort, de nitrate, et de cellulose.

Vue de l'extérieur, une explosion se caractérise par l'apparition d'une boule de feu accompagnée d'un violent souffle de gaz chaud. Si un gramme d'essence dégage en brûlant entièrement 10 600 calories, il requiert pour sa combustion complète, quatre fois son poids d'oxygène, ce sont donc 5 grammes du mélange qui libèrent 10 600 calories. Toute la différence entre le mélange d'essence et de la dynamite par exemple (1 700 cal/g), réside dans sa vitesse de décomposition. La combustion d'un kilo d'essence fournit une quantité de chaleur équivalente à plus de 7 kilos de nitroglycérine, mais la vitesse de libération de l'énergie de cette dernière se fait en un dix-millième de seconde ! Si l'explosion a lieu dans un volume partiellement clos, les gaz résultant de l'explosion qui ne peuvent se détendre, vont entraîner une surpression intérieure jusqu'à l'instant où ils ne pourront s'échapper par diverses ouvertures, permettant ainsi à l'équilibre de se rétablir. Si la charge est contenue dans un autocuiseur, on voit le volume de gaz se comprimer de plus en plus jusqu'à atteindre la pression de rupture de l'enveloppe, principe de la grenade.

Il faut se défier des formules traînant sur le Web, ces explosifs sont extrêmement dangereux pour ceux qui les fabriquent et surtout pour leurs voisins ! Printemps 2007, un postier poursuivi pour le non-paiement d'amendes décide de s'en prendre aux radars routiers de l'Ouest parisien, il va en détruire onze en une année. Pour mener cette campagne de sabotage réactionnel, il a commencé par parcourir Internet à la recherche de formules dont il achète ensuite les ingrédients dans un hypermarché. Le 28 mai 2008, alors qu'il prépare la mixture dans sa cuisine, celle-ci explose. L'homme grièvement blessé va passer plusieurs jours dans le coma entre la vie et la mort. Quand il recouvre sa lucidité, il a perdu sa main gauche, trois doigts de sa dextre, et a subi plusieurs greffes de peau. Aux policiers venus l'interroger, il déclara : « Je ne suis pas un terroriste, je ne m'en suis pas pris à la population. »

Des connaissances en chimie ne sauraient suffire à s'improviser chimiste-artificier, il ne suffit pas de savoir équilibrer une formule (moles). Le comportement énergétique des molécules explosives dépend de trois paramètres : leur composition chimique - leur chaleur de formation - leur densité. Les molécules contenant de l'azote (nitrates, chlorates, peroxydes) sont intéressantes parce que cet élément se transforme presque intégralement en azote gazeux sans consommer d'oxygène. Nous sommes en présence de groupes explosophores très instables, et les formules livrées ne précisent pas le mode fabrication. Il ne suffit pas de mélanger les substances en proportions (volume, masse) correctes, encore faut-il être en mesure d'en contrôler les réactions lors de leur préparation...

L'apprenti chimiste connait sans doute le triangle du feu, mais connait-il l'hexagone d'explosion, est-il familiarisé avec le bon usage d'une « pierre » à ébullition, au fait de l'importance de la granulométrie dans le dosage ou de la concentration de la substance ? Prenons l'exemple du TATP (triperoxyde de triacétone) ou peroxyde d'hydrogène dont les djihadistes sont friands pour la confection de leurs ceintures explosives. Cet explosif primaire aussi sensible que le fulminate de mercure et facile de fabrication et difficile à détecter, se présente sous forme d'une poudre blanche. Trois substances (acétone, eau oxygénée et un acide fort) suffisent à sa fabrication, encore faut-il qu'elles soient en concentrations adéquates, ce qui est rarement le cas. La quantité d'une substance est égale au quotient de la masse de l'échantillon en grammes sur sa masse molaire. Un kilo d'eau par exemple, contient 1.000 gr/18,01 g/mol, soit 55,5 mol H2O. Si le « chimiste » se procure de l'acide concentré à 65 %, de combien de mol/l disposera-t-il dans un litre sachant que d vaut 1,4 ?

La réaction fortement exothermique peut provoquer de graves brûlures et briser le récipient utilisé. Si la température reste incontrôlée, le mélange produit une fumée blanche et détone ! Cette étape franchie, encore faut-il procéder à son lavage et à la mesure du Ph. Son stockage n'est pas sans présenter de risques. Il doit être conservé dans une substance particulière ou un mélange stabilisant. Cet explosif de densité 1,2 capable de détoner à 5.300 m-s-1 avec une efficacité de 80 % du TNT, peut être utilisé comme explosif brisant ou soufflant...

Lorsqu'on désire enflammer une bûche dans la cheminée, on utilise une allumette pour enflammer un amas de papier qui va à son tour enflammer du petit bois, puis enfin enflammer la bûche. Avec les explosifs c'est exactement le même principe : il faut un moyen de mise à feu, un moyen d'amorçage et une charge. On parle de chaîne pyrotechnique (charge primaire, secondaire et principale). Le TATP n'a pas besoin d'un détonateur ni même d'un inflammateur pour détoner, un simple arc électrique, une source de chaleur, une friction ou un choc suffit ! On comprend à la lueur de ces précisions, la directive faite à certaines unités d'ouvrir le feu en évitant de viser le torse chez une personne portant une « ceinture » explosive, à moins qu'elle soit seule dans un endroit isolé !

Ce n'est pas un hasard si dans certains pays, les attentats à l'explosif représentent près de 60 à 80 % des attentats commis. L'explosif est : bon marché - facile à se procurer - aisé à mettre en place (véhicule, kamikaze, dans une poubelle, etc.) - explosion activée à distance - explosion déclenchée par un comportement (piège) - mise à feu à influence (barométrique, interférence magnétiques, accélération, température, etc.) - impact psychologique sur la population - il peut se présenter sous différentes formes (liquide, solide, gazeuse, vapeurs, malléable) - « destruction » des preuves (le chlorate mélangé à d'autres substances en font un explosif incendiaire).

Pour l'utilisation optimum d'un explosif, encore faut-il savoir quel type il convient d'utiliser : primaire, secondaire, soufflant, brisant - sa nature (solide, liquide, pulvérulente, gazeuse) - en calculer la charge (masse) - en déterminer la forme (linéaire, en couple, concentrée, charge creuse, effet dirigé, à fragmentation, etc.) - l'emplacement de son amorçage - la densité de chargement - son emplacement qui doit prendre en compte les interférences du front de l'onde explosive (domaine de la détonique). Ces quelques éléments de réflexion expliquent pourquoi les terroristes sont souvent de bien piètres artificiers qui compensent leur manque de technicité par la masse de la charge et la présence de shrapnels (éclats).

Article 322-11-1 du code pénal : « La détention ou le transport de substances ou produits incendiaires ou explosifs ainsi que d'éléments ou substances destinées à entrer dans la composition de produits ou engins incendiaires ou explosifs en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, des infractions définies à l'article 322-6 ou d'atteintes aux personnes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende lorsque ces faits sont commis en bande organisée. »


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