jeudi 12 juin 2014

" LE RENSEIGNEMENT EST NOTRE FUTUR "

" Le modèle d'organisation des forces spéciales françaises présente deux particularités majeures. D'une part, il est resté fortement marqué par l'importance des forces clandestines et le souvenir du BCRA, ce qui explique que soient confiés dans les mains de la DGSE le renseignement et l'action, et constitue de ce point de vue un modèle unique en Occident. (...) La solution pragmatique qui vient immédiatement à l'esprit serait de transférer une partie des forces du service action de la DGSE vers le COS. Est-ce envisageable ? (...) La direction des opérations de la DGSE compte environ un millier d'opérateurs, dont plus de sept cents pour le seul « service action » (SA) sur un total de l'ordre de cinq mille agents. (...)

Cela pose un problème de formation, et de l'imputabilité de l'action, le rapport de préciser " Premièrement, le recrutement et la formation des forces spéciales et des forces clandestines sont similaires, de même que les équipements et les entraînements ; au demeurant, certains équipements destinés à l'action clandestine signent l'identité de notre pays ; certaines missions sont identiques : quelles différences entre un sous-marin qui transporte des nageurs de combat de la DGSE et un sous-marin qui transporte des commandos Hubert ? Seul le caractère revendicable ou non de l'opération trace une claire ligne de partage. Mais pour qu'il n'y ait pas de lien, encore faut-il que les opérateurs clandestins ne puissent en aucune façon être rattachés à l'Etat commanditaire. (...) Deuxièmement, le fait de confier à des militaires des opérations clandestines suppose qu'ils n'échouent jamais. En effet, lors d'une opération ratée, le fait que les personnes compromises soient d'anciens militaires français signe de façon irréfragable l'identité du commanditaire. L'inverse n'est pas vrai : l'utilisation de forces spéciales à des fins d'action dans un pays étranger ne compromet pas les actions de la DGSE dans des missions d'action militaire qui ne sont pas leur vocation et qui, en cas d'échec, nuiraient à leurs activités de renseignement et d'action clandestine. (...) Il ne s'agit en aucune façon de remettre en cause la nécessité pour notre pays de disposer de forces capables de mener des opérations clandestines. Tout au contraire, il s'agit de repenser à froid l'action clandestine compte tenu de l'évolution des technologies et de prendre en compte une éventuelle « civilisation » des effectifs. La question de la protection juridique des agents doit également être traitée afin d'éviter, comme ce fut le cas en Italie, la mise en examen de hauts responsables pour participation à des opérations illégales." Rapport d'information remis à la Présidence du Sénat le 13 mai 2014, établi au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le renforcement des forces spéciales françaises". 

Depuis l'émergence du terrorisme transfrontalier, par exemple, la situation n'en est plus à la théorie des jeux à somme nulle (un gagnant et un perdant). Aujourd'hui, le renseignement se doit de s'inscrire dans un jeu à somme positive. Un ancien agent du SA a révélé la teneur de certaines missions accomplies, comme, par exemple, reconnaître les infrastructures d'un aéroport européen... N'eut-il pas été plus logique et moins coûteux de recruter ou de dévoyer un employé de l'aéroport détenteur d'accès privilégiés ? Nombre de missions relevant du renseignement opérationnel sont plus proches de celles d'un enquêteur que d'un militaire (renseignement d'origine militaire exclu bien entendu). Le renseignement opérationnel concerne à la fois l'officier de police judiciaire, l'agent clandestin, l'agent des douanes, le détective, et toute personne dont les investigations en vue d'obtenir des informations se passent sur le terrain, techniques décrites dans " Le renseignement opérationnel paru aux éditions Chiron 2013.

Le renseignement est en passe de devenir un produit comme un autre, produire du renseignement se doit à devenir un nouveau service d'intérêt national. Le 22 juillet 1944, quarante-quatre délégations nationales signaient l'accord économique de Bretton Woods qui entérinait l'ouverture des frontières et la coopération internationale, la création du FMI avec la primauté absolue du dollar, l'instauration de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. Le 15 août 1971, les États-Unis mettaient fin à la convertibilité du dollar en or, ce qui eu pour effet de faire éclater le système des taux de change fixe. Les monnaies allaient devenir l'objet d'une vulgaire marchandise. Au mois d'octobre 1987, le marché était confronté à un krack dû aux Black-Scholes (option), en 97 le marché asiatique s'effondrait, en 2001 on assistait à l'explosion de la bulle Internet, le mois d'août 2007 voyait surgir la crise des subprimes, l'année suivant l'effondrement du crédit. Malgré tous les outils informatiques à notre disposition, on est incapable à prévoir les crises économiques

Notre pays a besoin plus que jamais d'agents de renseignement en prise directe avec la société civile. L'espion actuel a pour tache d'alerter, de conduire des investigations, des observations, anticiper des besoins, de juger des pistes essentielles, découvrir qui est qui, qui fait quoi, où trouver qui, où trouver quoi et être en permanence à l'affût de ce qui se passe et se dit. Cette dynamique repose sur une série d'actions hors cadre judiciaire légal : l'infiltration sous fausse identité - surveillance statique (observation), dynamique (filature), électronique (captation, localisation, brouillage, intrusion) - soutirer (tirer les vers du nez) - soustraire (dérober). La démarche est similaire à l'esprit de l'article 13 de la Loi de programmation militaire avec l'atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles que cela pose. Même si l'action peut être légitime au regard de certaines situations, elle n'est pas "alégale", ce qui serait un moindre mal, mais illégale.


Oubliez James Bond et consorts, dans la réalité opérationnelle l'agent n'irait pas très loin. Il ne s'agit que de fictions et de divertissements. L'agent en préparation se doit de leur préférer la narration d'affaires qui détaille la réalité opérationnelle, mieux, qui en commente les points forts et les points faibles. Une série d'histoires doit se transformer en autant de leçons, ce que j'ai essayé de faire avec le titre " 15 histoires extraordinaires d'espionnage" éditions Chiron.

La nature pluridimensionnelle des missions n’entraîne pas de différences fondamentales, on parle de compétences globales. La notion de compétences : savoir (connaissances), savoir-faire, et savoir-être, reste indissociable de l'activité, conduire des actes de recherches d'informations dans le cadre de la prévention, de la protection contre des menaces potentielles dirigées contre la sécurité intérieure, et des enquêtes d'environnement fin action tout en contribuant à la veille économique, scientifique, n'est pas une mince affaire. Établir un référentiel de technicien du renseignement est d'autant plus complexe qu'il s'agit d'un agent opérant de sa propre initiative et assumant seul la responsabilité des recherches nécessaires à une mission ne s'inscrivant pas dans le cadre du légal du code de procédure pénale, à laquelle s'ajoute un facteur anxiogène lié à l'insécurité psychique, physique et à l'éloignement.

La culture du renseignement et son appropriation peuvent modifier notre avenir, est-ce un hasard si le mot "culture" s'applique à l'art de faire pousser des plantes nourricières ? on ne pouvait trouver plus belle analogie : remuer la terre, l'ensemencer, la fertiliser, la surveiller, éliminer les mauvaises herbes, etc., afin que les graines s'épanouissent et se développent jusqu'à maturité pour leur consommation.

Tout au long de la formation, les savoirs acquis reposent sur des échantillons de savoirs destinés à doter l'agent de repères issus du retour d'expérience, ce qui signifie pour l'agent à l'instruction la transmission d'approches antérieures. Comment peut-on juger autrement que par comparaison et en rattachant tout "problème" à une série d'expérience passées ? Dans 

les faits, il s'agit de doter une personne ordinaire, disposant cependant d'un certain état d’esprit, de connaissances et de stratégies comportementales afin de lui permettre d'accomplir des tâches qui sortent de l'ordinaire. Si le référentiel souligne les nombreuses compétences individuelles indispensables à l'identification, la localisation, et l'accès aux sources, l'agent se doit à percevoir, réfléchir, ressentir, et savoir-faire preuve - de discernement - disposer d'une bonne capacité d'analyse - de synthèse - être réactif - ingénieux, mais surtout posséder une bonne érudition en sciences humaine et techniques. Imaginons qu'une source potentielle parle d'une technologie de pointe, si l'agent lui délivre une remarque cohérente, mieux, pertinente, il lui sera probablement plus aisé de maintenir la conversation, voire la relation. Plus l'érudition sera étendue, plus l'agent pourra "accrocher" des sources détentrices d'éléments d'information.

Ensuite, le succès repose souvent sur la capacité à traiter les situations et les problèmes en utilisant uniquement ses connaissances et ses particularités caractérologiques. La capacité à manipuler son prochain ne doit pas reposer sur un trait de caractère permanent, mais être "déclenchable" quand cela est absolument nécessaire. L'agent doit être conscient de ce changement de registre afin d'en garder le contrôle et non se laisser emporter par cet état. 


On assiste à une fin de système et à l'émergence de nouvelles problématiques dans un monde de plus en plus complexe. Le temps ou l'on prenait des décisions en tenant seulement compte du passé, des connaissances acquises, et des probabilités est définitivement révolu. Il ne s'agit plus de prédire un futur "donné", voire attendu, mais de préparer les esprits à réinventer un nouveau monde dont la carte du territoire n'est pas encore tracée. Le renseignement se doit à évoluer sous l'impulsion des attentes de la société et l'agent devenir un être " hybride" capable de raisonner à partir de ses méconnaissances plutôt qu'à partir de ses connaissances qui interagissent comme autant de filtres mentaux. Quand Arthur Clarke envisagea en 1945, les communications par satellites, les "experts" le traitèrent d'utopiste. Une douzaine d'années plus tard, le lancement de Spoutnik allait bouleverser les mentalités et la conquête spatiale entraîner une mutation insoupçonnée. En 1958, le sous-marin atomique américain, le Nautilus, passait sous la calotte glaciaire, accomplissant un périple de 3 000 km en se fiant uniquement à une centrale inertielle. L'électronique (traitement d'un signal) allait amener une véritable révolution comparable à celle de l'invention de l'écriture. On dénombre aujourd'hui plus de 20 000 objets issus de cette branche de la recherche !

Les inventions et autres innovations technologiques n'ont cessé d'améliorer notre quotidien, mais les décennies à venir nous laissent entrevoir bien d'autres progrès remarquables. On ignore encore la plupart des "inventions" dont nous aurons besoin, le principal écueil est de définir les besoins. Comme le disait Albert Szenc Györgyi " le génie consiste à voir ce que tout le monde a vu, et penser à ce quoi personne n'a pensé." 


Assisterons-nous, comme pour les sociétés militaires privées, à une " privatisation " du renseignement ? Des précédents ont existé, en Suisse notamment, et cela semble lui avoir réussi au plan opérationnel. La France sera-t-elle, par excès de prudence, en retard d'une guerre que certains qualifient de troisième guerre mondiale ? Ce n'est pas par le renseignement uniquement qu'on résoudra les problèmes divers que nous rencontrons, mais le renseignement peut contribuer à préparer la société de demain et il me parait absurde de vouloir s'en passer.
 




A PARAÎTRE (février 2015)
STAY BEHIND les réseaux secrets de la guerre froide

STAY BEHIND  de Gérard DESMARETZ
En cas d'attaque soviétique en Europe occidentale, le réseau Stay Behind devait exfiltrer des membres du gouvernement et participer à la lutte clandestine afin de contribuer à restaurer la souveraineté nationale des États-nations démocratiques. L'efficacité du dispositif qui couvrait une douzaine de pays reposait sur, le secret, l'état de préparation, et la réactivité de l'organisation de résistance.

Cet ouvrage apporte un vision précise du fonctionnement de ces réseaux dormants, de l'état d'esprit qui en animait ses membres, et il nous rappelle que la guerre froide a bel et bien été le "produit" d'un certains nombre de facteurs : politique, économique, militaire, sociaux et idéologique, souvent occultés, mais indispensables à la compréhension du dispositif Stay Behind.

L'auteur nous révèle l'existence de cellules autonomes parallèles et mentionne des passages de rapports officiels qui infirment nombre de thèses avancées à propos de la collusion du réseau Stay Behind avec des organisations politico-criminelles. Certaines des informations délivrées sont capables d'ébranler des certitudes nées de la polarisation des positions, car l'après guerre froide agit encore auprès d'une "élite" intellectuelle comme un conditionnement très puissant.