mardi 25 mars 2014

LE PRIX D'UNE VIE HUMAINE
" Une vie humaine n'a pas de
prix, mais elle a un coût."

La disparition du vol MH 370 avec 259 personnes à bord pose la question sur la valeur d'une vie. Combien la société civile est-elle disposée à investir pour protéger une vie. Commençons par aborder la disparition des passagers de manière non passionnelle, mais comme un phénomène relevant de la victimologie. Le cadre posé, au-delà même des questions éthiques, morales, culturelles, affectives, la vie humaine ne serait-elle pas surévaluée, au risque de tendre vers le complexe d'Abraham ( anciennes fonctions sacrificielles ) ou l'eugénisme ? Dans la société occidentale moderne aux normes de sécurité contraignantes, la collectivité tend à accorder un prix élevé à la vie humaine, tandis que dans une société peu développée, le risque est supporté par le clan ou l'individu, c'est aussi l'approche des assureurs, avec toutes les dérives qui peuvent venir en résulter. Après le crash d'un Boeing, la Compagnie avait décidé qu'il était moins onéreux d'ignorer l'accident que d'engager les modifications sur sa flotte. C'était sans compter sur la pugnacité de la famille de l'une des victimes. Le scandale et le procès finirent par faire revenir la Compagnie aérienne sur sa décision initiale, celle de ne rien faire (coût de renoncement).

Depuis l'antiquité, l'homme aspire à introduire de la rigueur dans ses choix, c'est ce que l'on appelle l'art de prendre des décisions ou des prévisions, questions déjà abordées avec le chapitre consacré à l'audit. Comment évaluer la valeur d'une vie? On pourrait paraphraser Bentham et dire que la sûreté-sécurité est le solde positif moins les incidents, selon le nombre de personnes affectées, leur durée et leur intensité. La perte de 3 000 vies survenue en deux heures de temps lors de l'attentat du 11 septembre 2001, n'a pas la même valeur que 3 000 victimes d'accidents de la route étalés sur plusieurs mois (8500 morts par an).

L'importance d'un aéronef dans un pays lointain n'est qu'un micro phénomène. L'ordre public n'étant pas troublé, il n'y a donc pas de coupable. Il y a des gens qui ont raison ou qui ont tort, ce qui relève du droit civil, d'ailleurs, ce sont les Affaires Etrangères qui sont en charge de ces affaires, rarement le ministère de la justice. La victime n'est qu'un fragment, quoique important, d'un tout bien plus grand qui dépasse sa personne. Sans caisse de résonance, l'accident demeure sans importance internationale. Le point de vue de la journaliste Christine Ockrent vaut à être rapporté "Sur les chaînes nationales, on constate que le fait divers l'emporte parce que l'émotion prime sur l'analyse ; à peu près tout ce qui parait complexe est banni de l'information télévisée". Et selon Annick Dubled " Un fait n'est divers que médiatisé. C'est un indicateur symbolique et non statistique d'une société."

Un premier choix possible serait de calculer le ratio coûts / bénéfices, mais la réponse serait biaisée, car il suffirait de ne retenir que l'action la plus rémunératrice. Lors d'une prise d'otage, faut-il par exemple verser 50 millions de dollars pour sauver 1 vie ? Une réponse se dessine. Combien un individu serait-il prêt à payer pour s'assurer contre le risque de perdre la vie ayant une chance sur 10.000 de se produire? Imaginons que ce soit 750 $/an, un dix-millième de vie vaut donc 750 $. La valeur statistique d'une vie vaut 7.5 millions (750 x 10 000). Sachant que les ressortissants des pays développés sont disposés à consacrer à leur sécurité une somme équivalente à 120 fois le PIB par habitant : 115 809 $ pour un Luxembourgeois (chiffre de 2011) - 48 088 pour un Américain - 43 088 pour un Français - 8 400 pour un Chinois et 1000 $ pour un Irakien. On s'aperçoit que la valeur de la vie est inégale. La vie d'un Français en 2011 valait 5.17 millions de $ (le rapport Boiteux estime la valeur d'un Français à 1 million d'euros) et celle d'un Luxembourgeois à plus de 13 millions de dollars.
Cette méthode ignore : les salaires perdus, le capital amassé, le montant des primes d'assurance versées, la perte économique pour la collectivité (production, impôts, consommation notamment), etc. Si l'on inclus, par exemple, le nombre d'années restant à vivre (l'âge moyen des morts par accident est d'environ quarante ans), la valeur de la vie croît avec l'âge avant de décroître vers la fin de la carrière professionnelle. La famille d'une victime âgée de 35 ans, mariée sans enfant salaire 10 000 $/an disparue dans l'attentat du World Trade Center a perçu la somme de 573 400 dollars (le Congrès a par ailleurs débloqué 45 billions de dollars pour engager les hostilités, soit la somme de 15 millions de dollars par victime).
La valeur d'une vie reste intimement liée à l'investissement que la société et/ou l'entreprise a placé en l'individu. La valeur économique de l'enfant qui est quasi nulle au départ représente un investissement pour le futur. L'État a subvenu à ses soins et à ceux de sa mère pendant ses premières années, a contribué à son éducation (allocations), à son instruction (Un bac +3 revient à 142 000 euros, somme à laquelle il convient d'ajouter 11 260 euros par année supplémentaire et 8000 euros/an supportés par la famille: hébergement, repas, fournitures, inscriptions). La durée d'études accomplie représente un coût pour les contribuables qui sont en droit d'attendre un retour sur investissement afin de venir contribuer à la redistribution vers la collectivité. Toute proportion gardée, le versement d'une rançon de 30 millions d'euros permet la formation de 130 docteurs en médecine qui sauveront des milliers de vie humaines. Il ne faut donc pas s'étonner d'entendre des économistes dire que les retraités, les femmes au foyer, les chômeurs, et les assistés, représentent une valeur négative (ils coûtent plus qu'ils ne rapportent).

L'argent vaudrait-il infiniment plus que sa propre valeur ? Un dollar dépensé aux États-Unis n'ayant pas la même valeur qu'en Afrique, il s'ensuit un effet pervers qui vient constituer un formidable démultiplicateur financier. On peut contester le système financier et la valeur monétaire, mais on ne lui a pas encore trouvé de substitut concret.

Il est vrai que la notion bonheur (apparue vers la fin du XVIII° siècle) et celle de la douleur des proches ne sont pas prises en compte dans le calcul de la valeur d'une vie humaine. Les familles, les associations, les médias qui s'en font l'écho et qui instrumentalisent la situation, semblent oublier qu'une démocratie se doit de privilégier l'intérêt général sur les intérêts particuliers, ou corporatistes. La faute, si faute il y a, en incombe-t-elle pas aux parties en cause ? Un accident de grande ampleur n'est jamais anodin et les acteurs forment une chaîne de responsabilité, le constructeur, la compagnie, la maintenance, les législateurs, les entreprises qui font voyager leurs personnels, les médias, etc.

Une dizaine de jours après la disparition énigmatique du Boeing 777, le porte-parole du Pentagone faisait savoir que les États-Unis avaient déjà dépensé 2,5 millions de dollars pour les recherches. La facture ne devrait pas être présentée à la Malaisie qui a délégué une partie de l'enquête à d'autres États : Chine, États-Unis, Australie, France, Japon. La France a ainsi mis des moyens satellitaires civils et militaires au service des recherches et envoyé 3 experts du Bureau d'enquête et d'analyse à Kuala Lumpur.

Le contribuable doit-il participer au coût de sauvetage pour récupérer un corps ou faut-il déléguer les conséquences induites aux compagnies d'assurance. A titre de "comparaison", les recherches du vol Rio-Paris ont coûté 35 millions d'euros à la France, dont la moitié a été financée par le constructeur Airbus et la compagnie Air France. Il est par contre impossible, en l'état, de chiffrer le coût que cela entraînerait si les circonstances de l'accident restaient non élucidées. Déterminer les responsabilités est important, mais découvrir les causes afin de prévenir de futurs accidents doit prévaloir.